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CINÉMA

De mémoire indienne

7 février 2018 | Mise à jour le 7 février 2018
Par | Photo(s) : Rouge Distribution
De mémoire indienne

1890. Le 29 décembre plus de 300 Indiens Lakota sont massacrés par l'armée américaine à Wounded Knee (Sud Dakota). Un lieu de mémoire emblématique dont le film The ride rappelle l'importance. Un siècle plus tard, en décembre 1990, une centaine d’Indiens Lakota entreprennent une longue chevauchée pour rallier Wounded Knee et y tenir une cérémonie du souvenir. Depuis, chaque hiver, les cavaliers refont ce dur périple, indispensable moment de transmission d'une histoire occultée.

S'il fut l'ultime tentative de résister à l'ethnocide, le massacre de Wounded Knee en 1890 marqua la fin des « guerres indiennes ». Un pauvre monument et une fosse commune marquent l'endroit. Mais le lieu est aussi symbolique pour des raisons plus contemporaines.

En effet, début 1973, pour alerter sur leurs conditions de vie indignes, de nombreuse s violations des droits humains et en résistance contre le programme de terreur visant à éliminer les membres de l'American Indian Movement (AIM), l'AIM et ses soutiens locaux occupent Wounded Knee, proche de la réserve Sioux Lakota de Pine Ridge. A nouveau, on y envoie la troupe…

« Une résistance au colonialisme » déclarera alors Russel Means, l'un des leaders de l'AIM. L'occupation durera 71 jours, fera plusieurs morts et il s'ensuivra dans les deux années suivantes, de nombreux assassinats de militants amérindiens ainsi que des emprisonnements au terme fausses accusations et de procès truqués. Notamment celui de Leonard Peltier, incarcéré depuis 1976…

Mais ces événements vont contribuer à ce que la réserve de Pine Ridge dispose enfin d'une radio locale, d'un petit collège et d'un dispensaire. Même si elle demeure l'un des lieux les plus pauvres des Etats-Unis. En 1986, une première chevauchée de 300 miles (480 km) rallie Wounded Knee et en décembre 1990, la chevauchée du centenaire sera plus médiatisée, notamment en France grâce à Sur la piste de Big Foot, superbe reportage photographique et livre de Guy Le Querrec avec le producteur Jean Rochard

Au terme de plusieurs années de rencontres sur place, la cinéaste Stéphanie Gillard, frappée à la lecture de cet ouvrage préfacé par Jim Harrison, décide de tourner The ride suivant l'un de ses longs et difficiles périples à cheval dans la neige et le froid. Au-delà d'une commémoration des ancêtres massacrés, c'est surtout l'occasion pour les plus vieux de transmettre aux jeunes la mémoire telle que contée par les survivants, leurs grands-parents et arrière grands-parents. Et c'est ce moment d'intense communion, de réappropriation identitaire que The ride montre parfaitement.

Outre la beauté des images et la grande proximité avec les cavalières et cavaliers, Stéphanie Gillard a réussi à évoquer tout ce que les États-Unis -nation bâtie sur un génocide- refusent de voir : « Pendant ce voyage, les cavaliers nous racontent leur vie et ce qui s'est passé sur cette même route il y a 125 ans. Ils racontent ce que les États-Unis ont fait à leur nation, ce qu'ils ont eux-mêmes vécu : évangélisation, acculturation, destruction de leur langue, vol des terres de façon constante et insidieuse. »

Un rendez-vous d'importance pour les jeunes des réserves dont l'avenir est sombre et l'espérance de vie courte… « Pendant les 15 jours de la chevauchée, ces hommes se ressaisissent de leur Histoire, la tête haute. Ils sortent de l'esprit de prostration dans lequel on dépeint si souvent la réserve. Ils ne sont plus des victimes, des assistés, des alcooliques, des chômeurs, des suicidaires, des gens sans avenir et sans culture, mais, en faisant face au froid, à la neige, à la faim, mais aussi au regard des autres, ils sont courage, solidarité et dignité (…) lls se ressaisissent de leur Histoire pour qu'elle ne soit pas oubliée, pour dire l'importance de la mémoire et pour la transmettre, en même temps que leurs valeurs, à la jeune génération. C'est un cheminement pour devenir soi, simplement, redevenir Lakota.»

Parmi les nombreuses scènes, superbes et fortes en émotion de The ride, celle, filmée dans un pick-up un jour de repos où trois des jeunes cavaliers regardent la vidéo de Little big man, le premier western américain (d'Arthur Penn) où les Indiens ne sont pas montrés comme des brutes sanguinaires…

S'il peut sembler loin de nos préoccupations quotidiennes, The ride confronte l'Amérique à sa propre histoire, un bon rappel, à l'heure où Trump y prône discrimination et exclusion. Et les valeurs qui y sont transmises sont universelles.

The ride, réalisé par Stéphanie Gillard. 1h27.