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AGRICULTURE

Entendez-vous dans nos campagnes ?

29 novembre 2014 | Mise à jour le 6 avril 2017
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Entendez-vous dans nos campagnes ?

La France est le plus grand pays agricole européen, mais a perdu trois-quarts de ses paysans depuis cinquante ans. Horaires de travail à rallonge, faillites, suicides, maladies professionnelles, raréfaction des terres, mort des sols, risques sanitaires et environnementaux, maltraitance animale, le malaise de la filière témoigne d'un grave échec de la politique agricole.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, l'Europe peine encore à produire les denrées alimentaires en quantités suffisantes. Les terres agricoles sont morcelées, l'agriculture et l'élevage sont essentiellement vivriers. De plus, si la population se trouve surtout à l'Ouest de l'Europe, les grosses productions céréalières sont surtout localisées à l'Est, derrière le « rideau de fer », ce qui est l'une des motivations géopolitiques de la Politique Agricole Commune (PAC). Instaurée en 1957 par le Traité de Rome, elle est mise en place en 1962 afin d'assurer l'alimentation des européens, en garantissant un prix d'achat aux producteurs, mais surtout pour produire plus, assurer des prix raisonnables et stabiliser les marchés.

UNE AGRICULTURE DIVERSIFIÉE ET RESPECTUEUSE

Un demi-siècle plus tard, il semble évident que cette politique agricole productiviste est devenue largement inadaptée, voire souvent nocive et injuste. Comme le pointaient en début d'année 2014 les principaux syndicats CGT du secteur, en réaction contre le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (1) :

« Les modes de production agricole doivent s'appuyer sur les capacités nationales. Ils doivent donc nécessairement être diversifiés, permettre la sauvegarde des petites et moyennes exploitations familiales, développer des modes d'exploitation durables en privilégiant les plus économes en intrants et les plus respectueux de la biodiversité et des ressources naturelles ».

La fédération CGT agro-alimentaire précise aussi que « Malgré quelques avancées mineures sur l'installation d'agriculteurs ou d'agro-écologie, ce projet ne rompt pas avec la recherche de compétitivité de l'agriculture, fil rouge de la dernière réforme de la PAC ».
Les politiques successives de la PAC ont en effet eu d'énormes effets pervers, favorisant les grosses exploitations qui empochent l'essentiel des subventions. Parmi les bénéficiaires de très gros chèques de la PAC, on compte … le Prince Albert de Monaco, la reine Elisabeth et son fils Charles, le groupe LVMH et plus encore le volailler Doux (2).

DE CRIANTES INÉGALITÉS

Pendant ce temps, les petits paysans, notamment dans les filières d'élevage, sont pris à la gorge. En 2010, selon la Mutualité sociale agricole (MSA), 75 000 paysans étaient éligibles au RSA, mais, en juin 2012, 33764 exploitants agricoles en ont effectivement bénéficié. Selon le sénateur socialiste Claude Demoizel « un grand nombre d'agriculteurs sont privés, à revenu égal, du RSA activité que peut percevoir tout autre citoyen qui travaille car seuls les agriculteurs se voient en effet appliquer un plafond de revenus supplémentaires dans le calcul de l'allocation d'activité ». (2)

Les surendettements, les faillites, les dépressions et les suicides (Voir ci-dessous « Jusqu’au suicide ») s'ajoutent à une durée de travail harassante, à la complexification des normes, règlements et obligations. Récemment, les documentaires « Fils de la terre » et « Les petits gars de la campagne » témoignaient d'un malaise profond, grave et urgent : trop de paysans ne parviennent pas à vivre de leur travail et sont tributaires d'aides en tous genres (3) alors qu'ils souhaitent juste, comme tout travailleur, vivre dignement de leur labeur.

Les grandes productions (notamment céréalières), sont largement subventionnées alors que les petites fermes d'élevage le sont ridiculement peu. La production en bio est insuffisamment aidée, alors qu'elle est à 75 % locale -réalisée sur le territoire français et donc diminuant l'empreinte carbone des produits- et que les consommateurs sont de plus en plus demandeur de produits sains et locaux (4).

CHANGER DE MODÈLE AGRICOLE

En France, la Confédération paysanne est à la pointe d'une lutte contre une PAC inadaptée qu'elle combat bec et ongles, une PAC qui ne s'interroge pas suffisamment sur le modèle agricole majoritaire. Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne rappelle que si « la France est historiquement un grand pays agricole, la disparition des paysans coûte en fait très cher à l'Union européenne et est très inquiétante en termes d'indépendance alimentaire de notre pays. »

En effet, si la production reste la même, le nombre de paysans diminue à grande vitesse.

D'après les chiffres de la Confédération, ils ne seraient plus que 440 000, ce qui implique une concentration de plus en plus importante avec des exploitations agricoles qui s'agrandissent tout en occupant de moins en moins de personnes.

« Les missions de l'agriculture : l'emploi, la qualité des produits et l'équilibre des territoires sont de moins en moins remplies, ce système n'est pas tenable et, de plus, se double d'une trop grande complexité administrative et de trop de réglementations et de contrôles. »
Il n'est pas inutile de rappeler que la PAC ne concerne pas que le monde agricole, puisqu'elle représente 40 % du budget de l'Europe soit 363 milliards d'euros (2014-2020), c'est-à-dire 100 € annuels par citoyen. La plus grosse partie de ce budget va aux « aides du premier pilier » versés directement aux paysans en fonction du nombre d'hectares sur lesquels ils travaillent (à 85 %) ou, dans une moindre mesure (15 %) selon l'importance de leur cheptel. Mais ces aides à l'hectare favorisent les plus gros propriétaires qui s'agrandissent pour toucher plus, au détriment de nouveaux paysans qui voudraient s'installer sans trouver de terres.

VERS UNE AGRICULTURE PAYSANNE

Pour la Confédération paysanne, il faut agir « au niveau politique et voir comment l'argent public doit orienter le système. Car il est évident qu'il faut changer de projet. » Comme le précise Laurent Pinatel : « Nous ne sommes pas que dans le discours, nous luttons pour une transition agricole vers une agriculture paysanne où l'homme est au cœur du débat. » (5)

Par exemple sur l'enseignement agricole : les lycéens dans les filières agricoles sont totalement séparés des lycéens de l'enseignement général, d'où une méconnaissance des deux côtés. « Et après on se demande pourquoi les paysans se sentent isolés. Il faut mettre fin à cette séparation, il est important, pour commencer, de se connaître » témoigne le porte-parole qui est aussi à la tête d'une ferme bio.

« Ma fille est dans la filière agricole et dans sa classe elle est la seule fille dont les parents produisent en bio. L'enseignement de l'agriculture ne se remet pas en cause, à des rares exceptions près. Il faut qu'on y enseigne des pratiques plus vertueuses, car on voit bien que l'agriculture industrielle est dans l'incapacité de régler le problème de la pollution. Et n'en prend pas le chemin car on parle de relever la norme de la dose de nitrate acceptable dans l'eau de 50 à 80 mg/litre. »

L'AGRICULTURE PAYSANNE C'EST UNE DÉMARCHE,
L'AGRICULTURE INDUSTRIELLE C'EST UNE DÉRIVE.

Le MODEF (Mouvement de défense des exploitants agricoles) et le MNER (Mouvement National des Eleveurs de nos Régions) réaffirment que sans prix agricoles rémunérateurs, l'agriculture familiale disparaîtra au profit d'une agriculture industrielle comme la ferme des 1 000 vaches, les 1 000 jeunes bovins, les 250 000 poules pondeuses, 1 000 truies …Les deux organisations appellent les exploitants familiaux et les consommateurs à se rassembler le Jeudi 11 décembre devant la gare Montparnasse.

De son côté, la Confédération paysanne mène une démarche de formation par l'intermédiaire des Associations pour le développement de l'emploi agricole et rural, (ADEAR) regroupées en fédération (FADEAR) et qui sont des organismes de formation agréés.

Il faut aussi, bien sûr, complètement revoir le système des aides, car l'aide à l'hectare revient à subventionner les plus riches. « Pendant ce temps, l'élevage en herbe ne reçoit pas de primes ». Pourtant, il est économe en eau, sans intrants –utilisant des engrais naturels- mais demande d'avoir des sols vivants et bien préparés. Pour la production laitière, ce mode d'élevage assure un lait de bien meilleure qualité. Il contient, par exemple, plus d'Omégas3 quand les vaches broutent que si elles sont nourries aux tourteaux de soja. (6) et le système herbe présente l'avantage d'avoir moins de « pics de travail » pour l'éleveur, d'être plus respectueux des saisons et des bêtes.

« Pourquoi l'hectare de vignes ne touche-t-il aucune prime ? Pourquoi la production de légumes est-elle si faiblement aidée ? » interroge Laurent Pinatel. « Aujourd‘hui et depuis de nombreuses années, le système pousse à l'endettement, à s'agrandir, à faire « du volume » Ainsi, l'industrie agro-alimentaire récupère ses billes car elle capte toutes les plus-values… » Tout en ayant souvent la mainmise sur la direction des gros syndicats agricoles…Tandis que les banques tirent leur épingle du jeu sur le dos d'agriculteurs ruinés.

« L'ultra-spécialisation est mauvaise, mais on peut s'en sortir avec de la polyculture et aussi en transformant ce que nous produisons, même si c'est plus gourmand en main d'œuvre. Mais ça permet aussi de varier les tâches, ce qui rend le travail plus intéressant. » Et aussi, et ça n'est pas le moindre avantage, c'est une agriculture plus respectueuse des sols, car on ne peut plus désormais cultiver sans se poser la question de la mort des sols, ce qu'un agrobiologiste comme Claude Bourguignon (7) ou un agronome expert auprès de la FAO comme Marc Dufumier clament depuis des années (8).

Pour ce dernier, « Envisager l'essor d'une agriculture paysanne inspirée de l'agroécologie ne relève pas d'un quelconque passéisme mais vise à fournir une alimentation saine et à garantir la durabilité de nos systèmes agraires sur la planète ».

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(1) Loi Avenir Agricole
(2)Bénéficiaires subventions agricoles européennes
(3) Précarité et Réseau d’aide aux agriculteurs en difficulté_844.php
(4) La bio en France
(5) Charte agriculture paysanne et L’agriculturepaysanne
(6) Voir sur ce thème l'excellent documentaire « Herbe » « Herbe », le film
(7) Voir Au chevet des sols et lire : « Le sol, la terre et les champs : Pour retrouver une agriculture saine » de Claude et Lydia Bourguignon (Ed. Le sang de la terre ).
(8) De Marc Dufumier : « Famine au Sud, malbouffe au Nord » (NiL éditions) et « 50 idées reçues sur l'agriculture et l'alimentation » (Editions Allary).

JUSQU'AU SUICIDE

Un excès de suicide parmi les travailleurs du monde agricole a été mis en évidence dans plusieurs études françaises et internationales. C'est la troisième cause de décès chez les agriculteurs exploitants.

La population étudiée est constituée des chefs d'exploitations agricoles et de leurs conjoints collaborateurs, en activité professionnelle entre 2007 et 2009. En moyenne, cela représente environ 500 000 personnes chaque année dont 68 % d'hommes et 32 % de femmes.

Durant les trois années étudiées, 2 769 décès ont été observés chez les hommes et 997 chez les femmes. Parmi ces décès, 417 suicides chez les hommes (respectivement 130, 146 et 141 en 2007, 2008 et 2009) et 68 chez les femmes (19, 27 et 22 en 2007, 2008 et 2009) ont été enregistrés. Un excès significatif de suicides a été observé chez les hommes exploitants agricoles à partir de 2008, comparativement à la population générale de même âge.

Cette surmortalité par suicide est de 28 % en 2008 et de 22 % en 2009. L'excès est notamment marqué chez les hommes entre 45 et 64 ans et plus particulièrement dans les filières d'élevage bovins-lait et bovins-viande qui présentent en 2008 et 2009 les surmortalités par suicide les plus élevées. Ces observations coïncident avec la temporalité des problèmes financiers rencontrés dans ces secteurs sur la période d'étude.

Source : Institut national de veille sanitaire, 2013.