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Saisonniers

Saisonniers, des droits à la traîne

18 juillet 2018 | Mise à jour le 16 juillet 2018
Par | Photo(s) : Jean-Christophe Milhet / Naturimages
Saisonniers, des droits à la traîne

En France, en 2018, 800 000 intentions d'embauches de saisonniers sont annoncées. Mais quelles embauches ! Des emplois courts, intenses, sous-payés et surtout précaires. La CGT se mobilise de longue date pour améliorer le sort de ces travailleurs saisonniers, une population dont le profil est en pleine mutation. Sur 
les plages, dans les champs ou les commerces, entre Pyrénées et Méditerranée, 
la NVO a mené l'enquête.

Comment organiser une politique publique en direction de l'emploi saisonnier alors que le secteur est totalement méconnu ? En 2016, dans le cadre d'un groupe de travail ministériel sur l'emploi saisonnier, France Stratégie s'est risquée à une évaluation du nombre de ces travailleurs de l'ombre : « On peut estimer, a minima, à 500 000 le nombre d'emplois saisonniers en France, 600 000 si l'on y ajoute les emplois de vendanges, voire 700 000 si l'on intègre ceux de la fonction publique territoriale. » La fourchette est large. De son côté, Pôle emploi estime à 811 716 les intentions d'embauches en contrats saisonniers pour l'année 2018, soit 34,6 % des intentions d'embauches totales. En Occitanie, deuxième région de France la plus gourmande en travailleurs saisonniers, Pôle emploi évaluait, en 2014, le nombre d'offres d'emplois saisonniers à 87 485 tandis que l'Insee comptabilisait, la même année, 195 600 travailleurs saisonniers dans la région.

Les études s'accordent néanmoins sur un point : la mauvaise qualité des emplois du secteur. « Ils représentent 8 % des salariés [d'Occitanie] mais ne réalisent que 1,7 % du nombre d'heures travaillées », décrit l'Insee dans une note de septembre 2017 ; dans son Bilan 2016, l'Observatoire économique et social de la MSA relève, de son côté, que « la permanence de l'emploi », des salariés agricoles, « se dégrade (1,3 %) » et met en cause « un fort volume d'emplois saisonniers ». La précarité dans le secteur est la norme.

Précarité organisée

« Avant, on avait des contrats permanents », déplore Virginie, saisonnière agricole, de 42 ans, « aujourd'hui, on a des CDD permanents » (voir notre dossier juridique sur les contrats saisonniers dans le numéro 3570 de la NVO).

Dix mois par an, Virginie taille, débourgeonne, palisse les vignes près de Narbonne (11). Les deux mois restants, elle s'arrange pour trouver de quoi gagner sa vie en récoltant les tomates, les poivrons, les haricots. « Dix mois dans l'année, ça veut dire qu'il y a du travail pour 12 mois », s'insurge Anne Garetta, ancienne salariée agricole aujourd'hui responsable au bureau fédéral de l'agro CGT et conseillère au Conseil économique social et environnemental (CESE) section agriculture, pour qui la précarité des saisonniers est organisée. La signature d'un contrat saisonnier exonère l'employeur du paiement de la prime de précarité en fin de mission. Pour le salarié, c'est déjà 10 % de salaire en moins. Mais cela permet également de ne pas prendre en compte l'ancienneté d'un travailleur, et ce même s'il revient tous les ans sur la même exploitation. Dans le secteur agricole, des aides de l'État permettent aussi d'exonérer les employeurs de leurs cotisations patronales pendant 100 jours. « Les agriculteurs s'organisent parfois en groupements d'employeurs au sein de leur famille et se prêtent la main-d'œuvre. Comme ça, sur un an, ils ne payent rien », décrit Anne Garetta.

Autres méthodes du côté de l'hôtellerie-restauration, autre secteur grand consommateur de travailleurs saisonniers. Selon l'étude 2018 « Besoin en main-d'œuvre » (BMO) de Pôle emploi, 49,8 % des projets de recrutements de saisonniers dans l'hébergement et la restauration sont considérés comme « difficiles ». Les employeurs peinent à trouver de la main-d'œuvre qualifiée et fiable. Directrice d'un hôtel à Saint-Cyprien (66), Florence Bellais est également présidente des hôteliers du syndicat employeur UMIH 66. Elle explique qu'à la haute saison, elle préfère employer plusieurs saisonniers à temps partiel, de peur que l'un d'entre eux ne se présente pas à l'embauche. Ainsi, il lui est plus aisé de le remplacer « à la volée » en demandant des heures supplémentaires à un autre saisonnier. « C'est gagnant-gagnant », explique-t-elle, évoquant le salaire supplémentaire offert au remplaçant ; dans ce secteur, comme en agriculture, le salaire net horaire moyen est d'environ 9 euros, alors que la moyenne pour l'ensemble des salariés dépasse les 12 euros. Des salaires au rabais qui expliquent le peu d'intérêt des candidats et, de fait, la « pénurie » invoquée par les employeurs.

Quant au temps partiel imposé, il ajoute de la précarité à la précarité. Les saisonniers doivent, pour gagner leur vie, travailler pour plusieurs employeurs à la fois, au risque, parfois, de s'exposer à un épuisement professionnel. Pour le salarié, c'est la double peine. S'il ne « tient pas le coup » pendant sa période d'essai, il est de plus considéré comme démissionnaire, rappelle une représentante de Pôle emploi, avec toutes les conséquences qu'une démission peut entraîner sur l'indemnité chômage.

Le phénomène est de plus en plus courant du fait du changement démographique au sein de la population saisonnière. Les jeunes étudiants désireux de financer leurs vacances ou leurs livres n'ont plus l'apanage des contrats saisonniers. S'ils restent majoritaires dans l'hôtellerie-restauration occitane avec un âge médian de 26 ans, « les plus de 50 ans travaillent plutôt dans le secteur agricole », constate l'Insee. Apparaît alors une population de saisonniers « de complément » qui se distingue des saisonniers « exclusifs » par le fait qu'ils exercent, en parallèle, un autre poste (non saisonnier) pour mettre du beurre dans les épinards. Ces saisonniers « de complément » représentent 2 saisonniers occitans sur 5. Mais dans les champs, l'adaptation peut être rude pour un cinquantenaire peu habitué à un travail physique le reste de l'année. « Les récoltes, c'est toute ma jeunesse », explique une habitante de Perpignan, du haut de ses 36 ans, « mais j'ai arrêté à 30, ça devenait trop dur ». Alors, à 55 ans ?

Dans les champs ou les vignes, le travail est pénible : postures courbées, charges à porter, expositions aux conditions climatiques. La météo, c'est essentiel pour les saisonniers. « Quand il pleut, qu'on ne peut pas récolter, on m'appelle le matin pour me dire de ne pas venir », explique Virginie, l'ouvrière agricole de Narbonne, « ces jours-là, je ne suis pas payée, on se rattrape le week-end », par contre, s'il fait froid, ou quand le soleil tape fort mais que la récolte est possible, il faut y aller « sinon, à la fin, ce n'est plus la même paye ». Même son de cloche dans le secteur du tourisme, où le début et la fin de la saison dépendent des aléas climatiques.

Mobilité et logement

« On est payés au lance-pierre, déplore-t-elle, 35 heures payées au Smic. » Virginie connaît pourtant son travail par cœur. Tous les ans, elle retourne dans la même exploitation agricole, mais pas de prime d'ancienneté pour autant. « Toute sa vie, elle sera au Smic, prédit Anne Garetta, l'expérience professionnelle n'est pas prise en compte. » Pour arrondir les fins de mois, Virginie accepte parfois « du black », ou des missions payées à la tâche. La pratique est illégale dans l'Aude, mais pas dans le Gard. En faisant quelques heures de route, Virginie peut espérer 12 centimes par pied de vigne ficelé.

Et elle n'est pas la seule à devoir enchaîner les kilomètres pour travailler. Les emplois saisonniers du Languedoc-Roussillon sont davantage pourvus localement qu'ailleurs sur le territoire. Malgré tout, dans cette région, 31 % des travailleurs saisonniers résident loin de leur zone d'emploi, contre 20 % pour l'ensemble des salariés. Ailleurs, comme dans les Alpes, la main d'œuvre vient souvent de loin, et dort parfois dans des habitations très précaires. Se pose alors la question du logement quand une location, en secteur touristique, avoisine les 800 euros par semaine, explique Pierre Place, ancien secrétaire de l'Union départementale CGT 66, et trésorier de la commission paritaire départementale du travail saisonnier des Pyrénées-Orientales (CPDTS66).

Cette commission paritaire gère la Maison du travail saisonnier d'Argelès-sur-Mer (66), où travailleurs et employeurs peuvent venir chercher un conseil juridique ou pratique, notamment en matière de logement. « Une dizaine de saisonniers sont logés à Perpignan, explique le syndicaliste, mais ils doivent être motorisés pour rejoindre la plage. » De plus, à 350 euros par mois, ces logements au tarif préférentiel s'adressent plutôt à des couples. Ailleurs, des chambres sont parfois réservées en résidences Odalys, ou en résidences universitaires en dehors de la période de cours. Des locations en camping sont également financées à la fois par la collectivité locale, l'employeur et le salarié, qui, lui, n'aura plus que 5 à 10 euros par jour à débourser. « On a fait ça parce qu'il y avait des saisonniers qui dormaient sur la plage, ou dans l'arrière-boutique d'un magasin. »

Vers la fin des saisons en enfer ?

Saisonniers, des droits à la traineDossier de la NVO numéro 3570 de juin 2018