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On ne change pas une politique qui échoue…

Jean-François Jousselin
26 septembre 2014 | Mise à jour le 30 novembre 2016
Par | Rédacteur
Après un été pour le moins mouvementé et une avalanche de mauvais résultats, l'impasse de la politique économique gouvernementale apparaît totale. Il n'est pourtant pas question d'en changer.

Rarement rentrée se sera faite dans d'aussi calamiteuses conditions. Alors que le président de la République s'était voulu rassurant en juillet – « la reprise est là » –, la communication gouvernementale changeait brutalement de ton à la veille du départ en congé des ministres. Manuel Valls, à peine sorti d'un fort court séminaire gouvernemental, assurait que la rentrée serait difficile et fixait le cap : « Notre politique, ce sera le pacte de responsabilité, tout le pacte… et encore plus que le pacte. »

Difficile, la situation l'est assurément. Les premiers résultats des comptes trimestriels nationaux publiés à la mi-août en attestent. Même si leur énumération est quelque peu fastidieuse, ils méritent d'être rappelés. Au deuxième trimestre 2014, nous dit l'Insee, la croissance du produit intérieur brut (PIB) est nulle, comme au premier trimestre. Et tous les moteurs de l'économie française semblent à l'arrêt. L'investis­sement total poursuit ainsi son recul et baisse de 1,1 % après 1 % au premier trimestre. Cette baisse concerne tous les agents économiques.

En premier lieu, les entreprises, qui enregistrent une baisse de 0,8 % au deuxième trimestre, après un recul de 0,7 % au premier, mais aussi les administrations publiques (– 0,5 % après 0,0 %) et plus fortement encore les ménages dont l'investissement diminue de 2,9 % après un recul de 2,4 %. Autant dire qu'on ne saurait compter sur l'investissement, dont « l'acquis de croissance » pour 2014 est déjà négatif de deux points, pour tirer la croissance… Et pas davantage, semble-t-il, sur le commerce extérieur qui, au deuxième trimestre, contribue à nouveau négativement à l'évolution du PIB alors que sa contribution était neutre au trimestre précédent et très légèrement positive l'an passé.

La faible demande risque de plonger
la zone euro dans une stagnation prolongée

Seule la consommation des ménages, qui s'est quelque peu redressée au printemps, évite le naufrage. Elle enregistre une « petite » progression de 0,5 % contre une baisse de même ampleur en début d'année. Reste que, sur deux trimestres, sa croissance est nulle, alors qu'elle reste la principale composante du PIB… Rien d'étonnant donc à ce que l'activité marque le pas. En juillet on constate ainsi que la production manufacturière des trois derniers mois a diminué de 1,5 % par rapport aux trois mois précédents et qu'elle est même inférieure de 0,9 % aux mêmes trois mois de l'année 2013… Même constat dans la construction où la production recule de 0,6 % sur trois mois et de 1,2 % sur un an.

Pas de croissance, pas d'emplois

Ces difficultés se traduisent évidemment par des chiffres catastrophiques en matière d'emploi. Non seulement nous n'en créons pas, mais nous continuons à en détruire. En deux ans, de juillet 2012 à juillet 2014, l'ensemble du secteur marchand a ainsi perdu 177 400 emplois dont 33 100 dans le tertiaire, 54 700 dans la construction et 89 500 dans l'industrie, ce qui, pour cette dernière, représente une nouvelle hémorragie de près de 3 % de ses effectifs. Du coup, le chômage, dont on avait martelé qu'il baisserait avant la fin de l'année 2013, est reparti de plus belle. On comptait, fin juillet, 3 424 400 demandeurs d'emploi de catégorie A – ceux qui ne travaillent pas du tout – et 5 083 800 chômeurs si on ajoute à ce nombre celui des demandeurs d'emploi qui ont une activité réduite (catégories B et C). Là encore, la dégradation en deux ans est spectaculaire. Comparé à juillet 2012, ils sont aujourd'hui près d'un demi-million (436 600) de demandeurs d'emploi supplémentaires en catégorie A, soit une hausse de 14,6 %…

Mais le chômage de masse ne fait pas que s'étendre, il s'enkyste. En deux ans, l'ancienneté moyenne s'est allongée d'un mois et demi pour atteindre 526 jours. Le nombre de demandeurs d'emploi qui le sont depuis plus d'un an a, quant à lui, progressé de 26,3 % et il représente désormais 42,7 % des demandeurs d'emploi de catégorie A contre 38,4 % deux ans plus tôt. Le phénomène prend même des allures galopantes chez les plus de 50 ans. Dans cette catégorie d'âge, le nombre de chômeurs a progressé de 28,4 % en deux ans et celui des inscrits à Pôle emploi depuis plus d'un an s'est littéralement envolé : 35,8 %… Aujourd'hui, chez les seniors, 85 % des chômeurs le sont depuis plus d'un an…

Et toujours plus de déficit

Quels enseignements peut-on tirer de cette litanie de mauvais résultats ? Au moins trois. Le premier porte sur la crise. Elle est très loin d'être terminée et, contrairement à ce que prétend le président, les éléments de redémarrage sont loin d'être présents. La France est d'ailleurs très loin de faire exception à la règle. Certes, les perspectives de croissance dans la zone euro sont très hétérogènes, mais leur commune caractéristique, soulignée par l'OCDE dans ses dernières prévisions présentées le lundi 15 septembre, est d'être en recul sur les prévisions d'il y a quelques mois. Ce qui est vrai aussi aux États-Unis et davantage encore au Japon où la croissance sera, dans les deux cas, inférieure à ce qu'elle était en 2013.

Deuxième enseignement, ces résultats vont à l'encontre du discours largement dominant sur la compétitivité et soulignent l'inanité des politiques macro-économiques centrées sur l'offre. Ce sont les carnets de commandes qui font l'activité et l'emploi et non les baisses de coût salarial. Ce sont les perspectives de débouchés qui commandent l'investissement et non le taux de marge des entreprises. Ni la stabilité du coût salarial qu'a entraînée le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), ni le redressement du taux de marge des entreprises constaté au premier trimestre n'ont ainsi permis de créer des emplois ou de relancer l'investissement.

Une politique économique ne peut d'ailleurs à la fois restaurer les marges des entreprises en diminuant les salaires, prétendre réduire les déficits en contractant les dépenses publiques et relancer la croissance. Il y a dans ce triple objectif une contradiction qu'on pourrait dire ontologique qui conduit à rater toutes les cibles. À preuve, les nouvelles tensions sur le budget de l'État et la dégradation du déficit public en 2014. Lequel, contrairement à ce que veut faire croire Michel Sapin, n'est pas le résultat d'un aléa conjoncturel – la baisse de l'inflation et le financement des projets d'avenir – mais la conséquence quasi mathématique de la politique suivie.

Un vice congénital

Ce qui nous amène, troisième enseignement, au vice congénital des politiques européennes et au péché originel de la politique du président. Le vice congénital, c'est l'austérité et plus précisément les plans de « consolidation budgétaire » qui visent explicitement à paralyser les politiques budgétaires, qui ne doivent plus avoir d'autre objectif que la restauration de l'équilibre des finances publiques. Et qui se doublent de réformes structurelles visant à libéraliser les marchés – du travail, des biens et des services – et à réduire le niveau des dépenses publiques et de la fiscalité. Le péché originel, c'est le renoncement du président, à cet impératif de croissance sous la bannière duquel il avait pourtant fait campagne. S'engageant à remettre en cause le pacte dit « de stabilité » pour finalement se contenter d'une apostille prévoyant un très modeste plan de relance.

On connaît de longue date les contradictions de cette stratégie extrêmement coûteuse en termes de croissance à court terme et qui passe obligatoirement par une période dépressive. Elle étouffe la croissance et accroît les déficits et la dette que pourtant elle prétendait combattre. Nul ne peut l'ignorer, depuis le mea culpa du FMI qui, fin 2012, avouait avoir largement sous-estimé les effets de l'austérité. Les commentaires de l'OCDE le lundi 15 septembre ne disent pas autre chose quand ils soulignent que « la zone euro se distingue comme souffrant d'une faible demande qui risque de la plonger dans une stagnation prolongée ».

C'est pourtant cette politique que confirme le « pacte de responsabilité » et que la premier ministre prétend encore amplifier au nom du « pragmatisme ». Singulier pragmatisme en vérité qui ne tient aucun compte de l'expérience. Pas davantage des résultats concrets des politiques mises en œuvre que de l'opinion des Français. Pire, constatant l'effet délétère de cette situation calamiteuse sur la confiance des acteurs économiques, le premier ministre réclame du temps – la politique de l'offre en aurait besoin pour produire des effets – et prône une fuite en avant – « plus que le pacte » – qui a pour première conséquence d'accroître encore un peu plus la confusion et l'incertitude.

À qui perd gagne

Semant l'incompréhension, la désespérance ou la colère chez les salariés, elle suscite en revanche les applaudissements du patronat qui, du coup, fait monter d'un cran ses exigences. Le document que devrait publier le Medef mercredi 17 septembre en est une nouvelle preuve. Selon Les Échos, il prônerait, pêle-mêle, la suppression de deux jours fériés par an, la fin de la durée légale du travail au profit d'une durée négociée par entreprise, comme serait négocié le taux de majoration des heures supplémentaires. Il propose aussi l'instauration de façon transitoire d'un salaire inférieur au Smic « pour les populations les plus éloignées de l'emploi », la remontée des seuils sociaux, l'ouverture des commerces le soir et le dimanche, la création d'un contrat de projet et la réouverture d'une nouvelle négociation sur l'assurance chômage afin de « mettre en place un réel contrôle de la recherche d'emploi, quasi inexistant aujourd'hui »… Il exige aussi la transformation du CICE en baisse de charges, une nouvelle baisse de la fiscalité sur les entreprises, la suppression de la taxe sur les salaires et, cerise sur le gâteau, la fin de la taxe sur les transactions financières…

Certes, les premières réactions syndicales à ces prétentions montrent qu'il y a sans doute encore loin de la coupe aux lèvres. Mais de cette avalanche de propositions le Medef espère bien qu'il restera quelque chose. D'autant que la politique gouvernementale semble avoir des logiques que la raison ignore et qu'en matière d'austérité, le pire pourrait bien être devant nous. Pour financer les allégements aux entreprises, le gouvernement a confirmé son intention d'amputer les dépenses publiques de 21 milliards en 2015. Du jamais vu, qui exigerait de couper à la hache dans les prestations sociales et les investissements publics. Ce qui asphyxierait encore plus une demande déjà anémique sans produire davantage de résultats que ceux enregistrés jusqu'ici… C'est de cette spirale dépressive qu'il convient de sortir. Et le plus tôt sera le mieux.