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AGRICULTURE

Les éleveurs à la recherche du juste prix

22 juillet 2015 | Mise à jour le 6 mars 2017
Par | Photo(s) : Charly Triballeau/AFP
Les éleveurs à la recherche du juste prix

Près de 10 % des élevages français sont en grande difficulté financière. Les agriculteurs, notamment les agriculteurs normands, ont récemment lancé des actions pour pointer du doigt la grande distribution. Entre la baisse du tarif à l'achat et la hausse du tarif à la revente, où va vraiment l'argent des marges sur les prix de la viande ?

Le gouvernement a annoncé, mercredi 29 juillet, une liste de 24 mesures censées venir en aide aux éleveurs français, alors qu'ont lieu depuis le week-end dernier des manifestations de grande ampleur.

Dans l'urgence, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, prévoit une restructuration de leur dette auprès des banques, un fonds de garantie de 500 millions d'euros via la Banque publique d'investissement (BPI), un report du paiement des cotisations à la Sécurité sociale et de l'impôt ou encore une facilitation de la procédure d'accès au remboursement accéléré de la TVA.

Il envisage aussi certaines mesures de plus long terme. Donner un peu d'air aux paysans semble indispensable, mais le fond du problème demeure posé : quid du juste paiement de leur travail et de leur production par les grands distributeurs ? La remise en route de la filière passe-t-elle par des reports de cotisations sociales et fiscales, ou par des mesures pérennes permettant à chacun de vivre décemment, par la garantie de prix de vente rémunérant justement les productions ?

Car le prix du marché de la viande ou du lait est inférieur à leur coût de production. Un accord avait pourtant été atteint mi-juin entre les exploitants et la grande distribution pour faire augmenter progressivement les prix de la viande de 5 centimes par semaine jusqu'à atteindre un tarif qui leur permette de rémunérer leur travail. Un mois plus tard, les prix à l'achat sont certes à la hausse, mais l'augmentation est loin d'atteindre les niveaux prévus par l'accord. De son côté, le consommateur voit le prix de son steak augmenter lors de son passage à la caisse.

Résultat, les éleveurs vendent toujours à perte et près de 10 % des exploitations sont « au bord du dépôt de bilan », concédait, ce week-end, Stéphane Le Foll. Pour Alain Gaignerot, directeur du Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), ce chiffre pourrait même atteindre 45 000 exploitations, soit 20 % des éleveurs d'ici la fin de l'année si rien ne change. Dans ce contexte, selon l'Institut de veille sanitaire, un agriculteur se suicide, en France, tous les deux jours.

OÙ PASSE CET ARGENT ?

Pour Alain Gaignerot, entre le négociant, le transformateur et la grande distribution, « ce n'est pas forcément le nombre d'intermédiaires qui pose soucis aujourd'hui, mais plutôt le niveau des marges qu'ils prennent. »
Pour autant, précise Nasser Mansouri Guilani, responsable du pôle économique de la CGT, au sein même des intermédiaires, tous les acteurs ne sont pas à loger à la même enseigne.
« Les salariés du secteur des intermédiaires – dans la transformation ou la grande distribution – sont aussi pénalisés », observe-t-il. En tant que consommateurs, ils doivent payer plus, mais en tant que salariés, ils ne voient pas leurs revenus augmenter.

« Ceux qui en profitent, ce ne sont ni les producteurs, ni les consommateurs, ni les salariés, mais les propriétaires et les actionnaires dans la phase intermédiaire. » Ceux de la grande distribution, qui fixent les prix, en récoltent les bénéfices. Surtout que, contrairement à la plupart des autres secteurs, la vente à perte demeure autorisée en France pour les produits périssables.

RÉGLEMENTATION DES MARGES

Alain Gaignerot souhaiterait en fait une vraie réforme de la politique agricole européenne. Pour le Modef, c'est la fin de la réglementation des marges, liée à la mise en place du marché unique européen en 1986 et accélérée depuis les années 2000, qui a permis aux intermédiaires de gonfler leurs marges.

Il faut rompre avec la « logique libérale » de l'Europe, qui empêche les pays membres d'imposer des règles minimales, ajoute en substance Mansouri-Guilani, qui rappelle que les coopérations avec d'autres peuples ne sont pas incompatibles avec « un État visionnaire » dont on a cruellement besoin. Il s'agit notamment de favoriser la pérennité de l'activité sur le territoire. Le « marché » seul ne peut faire sa loi.

DÉSERTIFICATION ET INDÉPENDANCE ALIMENTAIRE

Pérenniser l'activité sur le territoire, c'est également le souci d'Alain Gaignerot. Dans certaines régions rurales, « sans élevage, je ne vois pas ce que l'on va y faire d'autre », s'interroge-t-il, car même dans les territoires qui jonglent entre agriculture et tourisme, l'un ne va pas sans l'autre. Les pistes de ski ont, par exemple, besoin de la pâture estivale pour être entretenues.

La désertification rurale pourrait également être accentuée par un phénomène de vieillissement de la population agricole. Le Modef constate un revenu annuel moyen brut d'environ 15 000 euros pour un éleveur bovin. De plus, l'investissement d'entrée pour un exploitant qui se lance dans le métier est bien souvent inaccessible aux jeunes. De quoi refroidir les vocations.

Dans cette situation, et dans un marché de l'alimentaire de plus en plus mondialisé et régulièrement secoué par des scandales sanitaires, on risque également de « perdre notre indépendance alimentaire », souligne en outre Nicolas Jau, secrétaire de la fédération agroalimentaire et forestière (FNAF) CGT. De toute évidence, les intérêts des consommateurs et des petits producteurs se rejoignent. En termes financiers, de qualité de la production, et d'environnement…