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Automobile

Les impostures
 des délocalisations

16 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par | Photo(s) : Thierry Nectoux
Les impostures
 des délocalisations

Le Mondial de l'automobile, qui s'est tenu à Paris, est pour les constructeurs l'occasion d'une formidable opération de communication. L'automobile française ne devrait son salut qu'à la recherche effrénée de compétitivité. Qu'elle débusquerait non plus seulement hors de l'Hexagone, mais hors du continent européen.

C'est la nouvelle lubie des patrons de l'automobile, les salaires des pays de l'Europe centrale seraient en passe de devenir trop élevés. Après avoir massivement investi en Roumanie, en République tchèque, en Slovaquie et Slovénie, il faudrait à nouveau délocaliser. Vers le Maghreb ou, qui sait encore, plus à l'est, vers l'Inde et la Chine… Carlos Ghosn, patron de Renault, annonce y avoir de grandes ambitions avec sa voiture électrique.

Quant à PSA Peugeot Citroën, après avoir atteint le chiffre record de 355 500 véhicules vendus en Chine au premier semestre 2014 (soit + 28 %), il envisage d'y installer une nouvelle usine d'assemblage pour élever sa capacité de production au chiffre astronomique 1,2 million de véhicules par an à l'horizon 2016. Alors, si même les pays de l'Est européen deviennent trop coûteux, que dire de l'ouvrier français qu'il faut rémunérer quelque deux fois plus ?

LE LOW COST ROUMAIN, 
DEVENU « TROP CHER »

Dans son édition du 15 septembre, le quotidien économique Les Échos publie une carte assez édifiante du « coût mensuel brut moyen d'un opérateur » dans les usines low cost de Renault. Il serait de 950 euros en Roumanie, 925 euros en Turquie, 920 euros sur le site de Moscou et 500 euros sur le site Togliatti en Russie et, enfin, 340 euros (soit presque trois fois moins qu'en Roumanie) pour la nouvelle usine de Renault à Tanger au Maroc. « Nos coûts salariaux ont augmenté de 26 % sur les quatre dernières années à Pitesti [Roumanie, NDLR], quand ils ont grimpé de 6 % en Turquie », se lamente un responsable de la marque au losange. La réaction est forcément différente du côté des syndicalistes.

« Le fait que les salaires aient progressé en Europe de l'Est prouve que, lorsqu'on a une industrie automobile, on produit des richesses. Et cette production de richesses permet d'élever le niveau de vie de la population. C'est l'aspect positif », commente Denis Bréhan, responsable de la branche automobile de la FTM-CGT. En revanche, on le sait, « les constructeurs ont la possibilité de changer les lieux de production pour amplifier le dumping social ». Et d'ajouter : « À l'époque, nous ­avions interpellé nos homologues d'Europe de l'Est en expliquant qu'à ce jeu de la concurrence entre nous, il y a toujours des rémunérations qui peuvent être inférieures. »

Et c'est bien contre cela qu'il s'agit de lutter tous ensemble, pour l'emploi, les rémunérations comme les conditions de travail… Cependant, ce n'est pas toujours facile, et il est arrivé que les relations se soient tendues avec certains : « Dans les comités de groupe, les syndicalistes de ces pays sont souvent nommés par leur direction. » Du coup, il n'est pas toujours simple de sortir de cette logique de concurrence. Une question qui traverse le syndicalisme international. En 2005-2006, le comité sectoriel automobile de la Fédération européenne de la métallurgie a, en effet, été le théâtre de vrais débats quand les implantations à l'Est s'effectuaient au détriment des sites à l'Ouest.

DRAGON CHINOIS OU TIGRE DE PAPIER

Pour David Meyer, économiste de la Fédération CGT-métallurgie, les sites d'Europe centrale ne sont toutefois pas menacés par les pays asiatiques, dont l'éloignement géographique induit d'importants coûts logistiques pour les réimportations. De plus, si la demande chinoise locale est importante, il y a déjà sur place une filière automobile avec une kyrielle de constructeurs. Le Maghreb peut-il alors devenir le nouveau territoire de la « compétitivité » ? « Lorsque, au début des années 2000, les constructeurs européens se sont implantés massivement en Europe de l'Est, ils ont été accompagnés par leur réseau de sous-traitance. La République tchèque est le pays européen où il y a le plus grand ratio de véhicules produits par habitant. Or, ce maillage n'existe pas ailleurs », précise David Meyer.

Dès lors, pourquoi tant de tapage ? Denis Bréhan suggère une hypothèse : « Je n'ai pas le sentiment qu'il y a du danger pour l'Europe centrale, mais il y aurait plutôt un coup de communication pour aider à de nouvelles acquisitions dans les pays du Maghreb. »

LA CHASSE AUX SUBVENTIONS

Dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, l'Europe a débloqué d'importants fonds structurels européens pour installer la filière automobile en Europe centrale. Que l'argent public ait servi de fait à désindustrialiser l'Europe occidentale est une problématique jamais abordée par la presse patronale.

En Europe centrale, comme au Maroc, nos constructeurs sont devenus les champions de la prédation de l'argent public. Pour son usine de Tanger, Renault a bénéficié de la construction d'un port en eau profonde, d'une autoroute, de la création d'un centre de formation, de l'installation d'une zone franche et une exonération totale de l'impôt sur les bénéfices pendant plusieurs années.

Les Marocains paient donc deux fois cette implantation : avec leurs impôts, d'une part, et leurs salaires au rabais, d'autre part. À l'image de ce qui s'est produit une décennie plus tôt avec la gamme Logan, Renault prétend encore une fois que la production y est destinée aux populations locales.

Pourtant, outre le fait qu'avec des salaires aussi modestes, les ouvriers marocains ne pourront acquérir les véhicules qu'ils produisent, Renault fait sa publicité sur le Lodgy produit à Tanger, mais vendu en France et en Europe de l'Ouest. Pour David Meyer, le risque n'est donc pas tant celui d'une grande délocalisation des pays de l'Europe centrale que la poursuite de la désindustrialisation dans certains pays de l'Europe de l'Ouest. Et de commenter : « Il y a potentiellement un transfert progressif de produits de petits segments vers le Maghreb. Mais on est encore loin de la grande menace de la délocalisation des pays d'Europe centrale. »

EN SAVOIR PLUS

Une répression syndicale omniprésente dans l'automobile

Chez Toyota, les militants CGT font régulièrement l'objet de pressions et de tentatives de licenciement. Récemment, un protocole d'abandon de sanctions a été signé, mais l'ambiance demeure très tendue : « Plus ils dégagent de profits, plus ils ont besoin de militariser la production », dénonce Éric Pecqueur, délégué CGT chez Toyota Onnaing (59). Dernièrement, l'annonce du licenciement d'une intérimaire enceinte a scandalisé les personnels.