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MÉTIERS

Pour que l’ouïe soit d’or

25 juillet 2014 | Mise à jour le 17 juillet 2017
Par | Photo(s) : DR
Pour que l’ouïe soit d’or

Le troisième volet de notre série d'été autour des métiers des festivals met les projos sur les techniciens son et lumière. Aussi polyvalents que pointus, doués d'une grande maîtrise technique et d'une sensibilité artistique, ils en sont les yeux et les oreilles. Rencontres aux Flâneries musicales de Reims (51) et au Festival des arts numériques d'Enghien-les-Bains (95) en juin dernier.

Quelques visiteurs matinaux déambulent à pas feutrés dans les allées, s'arrêtant pour admirer les vitraux de la basilique Saint-Remi de Reims. Il y règne un silence à peine rompu par le frottement des chaises qu'on déplace. Le calme avant la déferlante.

Ce soir, pour l'ouverture du festival des Flâneries musicales, l'Orchestre national de Lorraine interprétera le Requiem de Verdi. Mais avant, l'équipe du festival doit procéder à l'installation. Le travail minutieux d'une journée. Premier arrivé, Frédéric, le régisseur général, un brin nerveux et très affable, s'arrête pour saluer le directeur de l'événement.

« Mon métier, c'est de coordonner tous les techniciens et de m'assurer que tout est bien en place », résume-t-il. Dehors, postée devant l'entrée latérale de la basilique, une petite troupe de techniciens, en pompes de sécurité et jean, avec le tee-shirt noir de la société qui les emploie, fume au soleil en attendant le top départ.

Parmi eux, Guillaume Jolly et Sam Méjean, dont le job ce matin est d'installer la sonorisation avant l'arrivée des musiciens pour les répétitions.

Techniciens multifonctions

Les camions transportant le matériel se garent, chacun aidant, quel que soit son poste, au déchargement. « Gaffe, un jour, il y aura une main en moins », prévient Jérémy, un membre de l'équipe régie, en stabilisant la sortie d'un lourd chariot chargé des plateaux de scène.

La plupart des techniciens présents sont multifonctions. C'est le cas de Yohann, 39 ans, employé aujourd'hui comme assistant régie à l'installation et au rangement de la scène mais qui travaille habituellement en tant que technicien lumière. « Par goût pour la précision et par sensibilité artistique, pour le mélange des couleurs », confie-t-il.

Pendant que la régie installe l'assemblage de la scène dans la nef, le tandem des techniciens son commence à disposer les pieds et à y fixer les enceintes le long des rangées de chaises prévues pour le concert. « On fait de la multidiffusion en répartissant de petites enceintes dans la basilique, en essayant d'être le plus discret possible pour que les gens n'aient pas l'impression d'avoir les enceintes dans l'oreille, explique Guillaume. Le but, c'est de soutenir l'acoustique : pour donner le sentiment au public d'être plus proche de l'orchestre. » Les deux techniciens qui vont et viennent armés des enceintes commencent à ruisseler de sueur. « C'est un métier technique… et physique ! » se marre Guillaume.

La courte pause déjeuner est appréciée. Mais il faut maintenant accélérer, car les musiciens ne vont pas tarder à débarquer. Guillaume installe les kits micro sur scène tandis que Sam démarre les tests son sur la console. L'une des enceintes se met à cracher un bruit d'aspirateur. « On regarde si ce qu'on a installé ce matin marche, ça permet de vérifier qu'on a bien toutes les fréquences et de corriger les incidences de la salle », explique Sam.

L'annexe 8

Touche à tout, Guillaume se considère « autant régisseur que technicien avec une spécialité son », mais réfute le terme d'« ingénieur ». « Ce n'est pas mon diplôme. Les mecs qui se disent ingé son, en général, ils arrivent derrière la console et tout est déjà installé, c'est pas le cas ici. »

Doté d'un BTS audiovisuel et d'une formation d'un an comme technicien du spectacle, ce trentenaire travaille depuis dix ans en tant qu'intermittent, cumulant entre 1 300 et 1 400 heures par an entre les festivals d'été et les prestations dans des salles de concert.

Comme ses collègues, il relève de l'annexe 8 de la convention de l'assurance chômage, celle des intermittents, et les contrats à durée déterminée d'usage (CDDU) qu'il cumule auprès de différents employeurs lui ouvrent le droit à des indemnités versées entre deux boulots. Tandis que les musiciens et la régie orchestre font leur apparition, du côté de l'équipe technique, on vérifie les balances tout en gardant un œil sur son smartphone.

On est le 19 juin et tous les techniciens sont fébriles : le gouvernement doit signer aujourd'hui l'agrément entérinant la nouvelle convention d'assurance chômage. À table, chacun calcule le différé qui s'appliquera avant le premier versement de ses allocations.

Pour Samuel, ce seront dix-huit jours de perdus. « Il va falloir mettre de côté », philosophe Guillaume. En fin d'après-midi, la nouvelle tombe : l'agrément a été signé par le ministre du Travail. À Reims, la coordination locale des intermittents se réunit pour décider de l'action à mener. « On risque de remballer de bonne heure », raille un technicien, faisant siffler les oreilles du régisseur.

On ne fait pas du blé avec le son

À 19 heures, les techniciens ont terminé leur installation et la foule commence à affluer. Une quarantaine d'intermittents s'est rassemblée devant la basilique. La nervosité est palpable, une intermittente semble très inquiète de la réaction du public : « En 2003, on nous a hués en nous traitant d'espèces de pauvres, rappelle-t-elle. Je préférerais que le concert ait lieu, le message passerait mieux. »

« Ce soir, il faudra bien qu'ils nous entendent », prévient un membre de l'équipe. Solidaires, Sam et Guillaume ont collé sur leur console une affiche « Être en lutte ». Ras-le-bol d'entendre qu'ils sont « des nantis » ou qu'« ils profitent du système ». « Je gagne 160 euros brut pour une journée qui commence à 9 heures et va se terminer vers 1 heure après le remballage du matériel, souligne Guillaume. Des journées payées 8 heures qui en font vraiment 8, je n'en ai jamais connu depuis que je fais ce métier ! »

Soucieux du bon déroulé de la soirée et de marquer son soutien, le directeur du festival a décidé d'adresser quelques mots au public avant le début du concert : « Tout ceci ne serait pas possible sans les artistes, et on ne pourrait pas travailler sans les techniciens du spectacle vivant. Ces métiers ne peuvent pas s'exercer en continu et il faut bien que ce régime leur soit réservé ! »

Le micro est confié à la porte-parole du collectif des intermittents. À la fin de son intervention, une interpellation des politiques présents au concert déclenche une bronca du public. « CGT dehors ! » gueule un homme en costume cravate aux tempes grisonnantes. « Appa­remment votre seuil de tolérance à l'arrêt du spectacle est très limité », constate sous les huées l'une des intermittentes. Après une trentaine de minutes de discussion, le concert démarrera enfin.

Apporter une sensation au spectateur

Autre lieu, autre festival. Le 20 juin se clôture, à Enghien-les-Bains, le Festival des Bains numériques, dédié à la danse contemporaine et aux arts numériques. Ici non plus la grève n'a pas été votée, mais une grande banderole a été dressée. « On ne s'est pas posé la question de la grève car il s'agit d'événements gratuits, attirant un public peu averti qu'il faut déjà convaincre de venir, précise Virginie, une technicienne employée comme une cinquantaine d'autres intermittents chaque jour ici. Et puis il faut voir la réaction des gens quand on prononce le mot intermittent… »

Vincent Tirlemont, le jeune régisseur du festival, qui a dégagé du temps pour nous servir de guide, joue un rôle charnière : « J'ai au départ une formation de régisseur son, puis j'ai touché à tout, la lumière, le plateau…Mon travail ici, c'est de tout coordonner : étudier les besoins de toutes les compagnies, l'adaptabilité des spectacles aux lieux, gérer le personnel, vérifier qu'on a tout le matériel… Dans ce festival, le but est d'apporter une sensation au spectateur, il y a un gros travail entre le son et l'image afin de réussir à l'englober dans l'espace. »

Il nous conduit au jardin des Roses, au bord du lac, où une scène a été dressée. « En lumière, soit on est très minimaliste en mettant en avant des choses très subtiles, soit on en met plein les yeux avec une lumière plus démonstrative. » Il nous présente la technicienne lumière en charge du DJ set d'électro qui se tient ce soir-là en clôture. « Il y a beaucoup de filles en lumière, ça se démocratise », se réjouit-il.

Klarys Delchet est venue dès la semaine dernière aider l'équipe à monter la scène et à installer les projecteurs. La veille, elle a effectué des essais sur sa console jusqu'à 3 heures du matin afin de préparer le DJ set de ce soir. « J'ai encodé des effets lumineux, des séquences que j'enverrai pendant le concert. Je n'ai pas encore beaucoup d'expérience du live, mais c'est excitant. » Ce soir, pour la clôture, elle assurera le spectacle au côté de son collègue qui gère la console son. Encore du travail d'équipe.

 

Paru dans Ensemble ! de juin 2017