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Automobile

PSA : rencontre avec la condition ouvrière

25 novembre 2015 | Mise à jour le 28 février 2017
Par | Photo(s) : DR
PSA : rencontre avec la condition ouvrière

Dans le cadre des 2 000 visites aux syndiqués préparatoires au 51e congrès de la CGT, Philippe Martinez s'est rendu dans l'usine PSA Sochaux. Pour ceux qui en douteraient encore, être ouvrier au XXIe siècle, ça existe et ça n'est toujours pas rose. Reportage.

C'est une ville dans la ville. Une usine immense qui s'étend sur un site de 259 hectares, entre Sochaux, Montbéliard et Exincourt. En fait, le plus grand site industriel de France encore aujourd'hui, malgré l'hémorragie de ses effectifs.

Spécialisé dans les véhicules de taille moyenne, Peugeot Sochaux produit notamment des 308, berlines et breaks, ainsi que la Citroën DS 5.

Dans une salle de réunion sans âme, Yvan Lambert, le directeur du site, et Franck Bernard, le DRH, se disent heureux d'accueillir, « dans un contexte calme et dans une usine en plein changement », le secrétaire général de la CGT, « le premier à revenir sur place depuis Henri Krasucki en 1989 (1) ».

 


(1) 12 octobre 1989, Henri Krasucki apporte un chèque de 1,118 million de francs aux grévistes du centre de production Peugeot. Une somme recueillie grâce à une souscription nationale organisée par la CGT. Trop de zéros pour le secrétaire général de l'époque qui, dans une déclaration devenue culte, bafouille sur le montant exact : « 180 000 centimes… J'ai fait une erreur dans les chiffres, c'est pas la première fois… ».


 

Très vite, la conversation laisse place à une joute verbale, polie, mais affirmée et technique.

Aux besoins assumés du patronat d'être « adaptatif », le secrétaire général de la CGT oppose sa vision sociale et les questions font mouche : « Pourquoi autant de turn over ? Pourquoi ce taux important de véhicules en retouche ? Qu'est-ce qui est le plus rentable, pour reprendre les mots que vous employez ? Générer de la non-qualité par le mode d'organisation du travail, ou produire bien en respectant le bien-être des salariés ? »

La visite de l'usine donne à voir un enfer de fer et d'acier, qui crache 1 157 véhicules par jour. Aujourd'hui, la chaîne automobile n'est plus conçue comme la production uniforme de voitures identiques.

Avant d'être fabriqué, chaque véhicule a été pré-vendu ; les multiples options ont été choisies par le client. Une production à la commande et à flux tendu qui optimise la gestion des stocks mais rend le travail des salariés plus difficile.

Dans le hall M40, c'est l'étape du ferrage. Les pièces déjà embouties des voitures vont s'assembler ici, dans un inquiétant ballet d'immenses robots jaunes qui crachent des étincelles. Le boucan des machines qui moulent les pièces a laissé place à d'étranges sons proches du comic strip, « des pow, des blop et des wizzzzz » de la chanson de Gainsbourg, la légèreté en moins.

Sur chaque voiture en devenir, quatre parfois cinq robots se mettent en action dans une chorégraphie bruyante et métallique. « Les robots ont des métiers, explique un syndicaliste. Certains font de la manutention, d'autres sont soudeurs ». Gilles, l'un des ouvriers de ce hall, explique entre fatigue et colère : « il y a dix ans, on était encore 2 000 au ferrage contre 800 seulement aujourd'hui, mais on produit toujours autant de bagnoles ».

La sous-traitance – de la sellerie et des moteurs notamment – et le lean manufacturing ont fait partie des choix « stratégiques » de la direction depuis les années 2000. Pour Elisabeth Colino, cariste de métier et déléguée CGT, « le plus dur ici, c'est le montage ». La dernière étape de production, quand les voitures fraîchement peintes arrivent. Dans cette partie du site, même l'air libre porte les effluves agressifs des solvants chimiques. À l'intérieur, on constate les dégâts de ce lean manufacturing.

Dans la zone dite de kitting, des jeunes, garçons et filles galopent toute la journée pour remplir de petits wagonnets qui avancent, imperturbables à la fatigue humaine. L'ensemble des pièces nécessaires à la finition des voitures doit y être déposé. L'individualisation de chaque voiture complexifie le travail. Pour couronner le tout, chaque salarié parcourt entre 12 et 20 km/jour.

Dans cette ambiance grise, bruyante, voire dangereuse, évoquer les 32 heures fait dresser l'oreille. « C'est sûr, ça serait pas du luxe pour nous », explique Thomas, 36 ans, dont 15 ans de maison. Assigné aux éléments porteurs, comprenez les amortisseurs, il s'estime assez bien loti. « Pour moi, c'est encore un peu tranquille, ça n'a rien à voir avec la zone kitting où les gars courent toute la journée » après le temps et pour trop peu d'argent.


PSA : les autres chiffres

9 000 salariés sur le site (contre 40  000 il y a quelques années)

600 syndiqués à la CGT (500 actifs, 100 retraités)

Salaire net d'environ : 1 200 euros

Prix d'une DS 5 : environ 28 000 euros. « Pas une bagnole de prolo », dixit Elisabeth Colino

35 heures en horaires décalés : 5 h 20 – 13 h 12 et 13 h 12 – 21 h 15

Production de 1 157 véhicules/jour

 

La sécurité, la priorité ?

Simples bouchons d'oreille pour l'embout, lunettes de protection au ferrage, masques à la peinture, uniforme gris et chaussures de sécurité aux pieds, autant d'équipements dérisoires qui ne suffisent pas à protéger les salariés. La fatigue, les gestes répétitifs ont entraîné de nouvelles maladies professionnelles (troubles musculo-squelettiques tendinites, syndrome du canal carpien, épicondylites).

Médecin du travail dans un secteur de montage dit « enligné », le docteur Moreau témoignait de l'augmentation, depuis 2007 et l'accélération de lean, des impacts négatifs sur la santé. « Ces impacts pouvant porter atteinte à (la) santé physique, psychique et même à la vie (des salariés) ».

En décembre 2009, la direction de Sochaux entamait une procédure de licenciement à l'encontre de ce médecin du travail. Une pétition signée par 4 000 salariés en trois jours a permis d'éviter la procédure, mais le médecin, considérant qu'il ne pouvait plus travailler dans des conditions normales, a quitté l'entreprise.