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Paradis perdu

25 novembre 2017 | Mise à jour le 23 novembre 2017
Par | Photo(s) : Catherine Helie / Leemage
Paradis perdu

Que reste-t-il du paradis après le débarquement des Européens à l'île Maurice à la fin du XVIe siècle ? Les deux protagonistes d'« Alma », de J.M.G. Le Clézio, nous parlent de la lignée des Felsen, famille mélangée, menacée d'extinction, comme le dodo, qu'ont exterminé les colons.

L'île est saccagée.

La forêt, qui couvrait l'essentiel du territoire, a été rasée pour planter la canne à sucre.

Du dodo, ce gros volatile maladroit et sans défense, ne restent que de rares « pierres de gésier », que l'oiseau avalait pour pouvoir broyer et digérer sa nourriture.

Des esclaves amenés sur l'île colonisée par les Hollandais, les traces omniprésentes sont occultées, englouties sous les projets immobiliers.

Des Felsen subsiste Jérémie, venu pour l'a première fois sur l'île de ses ancêtres au prétexte d'écrire une thèse, et Dominique, dit Dodo, dernier descendant de la lignée encore présent sur l'île. Dodo, clochardisé, mangé par la lèpre, exclu, mais qui porte en lui la mémoire de ce paradis perdu, de sa famille chassée, de sa vieille nounou noire expulsée, des esclaves enfuis et du gros oiseau exterminé.

Dans les pas des derniers des Felsen, le lecteur découvre deux visions de l'île. Celle de Jérémie qui, comme l'auteur, n'est pas né à Maurice mais a été baigné dans son histoire et vient en quête de ses origines, du côté des puissants, et celle, intime et fusionnelle, de Dodo avec son île et tout ce qui y vit.

Dodo, seul au monde, rejeté, mais qui connaît tous les arcanes de l'histoire tourmentée de Maurice, de sa famille et des planteurs de canne régnant en maîtres, Dodo qui, pourtant, va quitter l'île…

On ne peut pas ignorer la veine autobiographique lorsque Le Clézio, au prétexte de nous confier les pensées de Jérémie, écrit ses lignes : « J'ai voulu aussi recoller les morceaux d'une histoire brisée, celle des Felsen de l'île, à présents aussi éteints que l'oiseau lui-même, dead as a dodo. Peut-être était-ce par vanité, ce sentiment d'appartenir à une tribu en train de disparaître, d'être le témoin, le signal faible et vacillant d'une autre ère, d'une autre culture, autour des derniers survivants le monde est en train de changer, ne dit-on pas avec une certaine arrogance, à chaque génération, que rien ne sera plus comme avant ? »

Toujours attentif aux cultures indigènes, à la nature, à ceux qui, d'une façon ou d'une autre ont été et sont les perdants face à une humanité avide et dévastatrice, l'écrivain nous livre un fort beau roman, à la fois sensuel (notamment une magnifique description d'une naissance en pleine nature) et très politique.

Le style de Le Clézio transporte le lecteur, lui fait ressentir la terreur et la tristesse du dodo, la douleur des esclaves et de leurs descendants, l'arrogance des colons et des puissants et la beauté d'une île qui porte en elle toutes ces mémoires.

AlmaJean-Marie Gustave Le Clézio. Gallimard. 352 pages, 21 euros