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AIR FRANCE

Affaire de la « chemise arrachée » : « L’option de la relaxe est probable. »

22 mars 2018 | Mise à jour le 23 mars 2018
Par | Photo(s) : Pierrick Villette
Affaire de la « chemise arrachée » : « L’option de la relaxe est probable. »

Procès à la cour d'appel de Paris des militants d'Air France. Fin d'audience après les plaidoiries en défense. Le 20 mars 2018

Au dernier jour du procès Air France, la défense a relevé non seulement les lacunes de ce dossier, mais aussi les fautes commises par la partie civile au moment des faits. Malgré la foultitude d'éléments présentés à charge contre les accusés par les plaignants, les prévenus devraient, en toute logique, obtenir la relaxe.

Mardi 20 mars, dernier jour du procès en appel des douze salariés et ex-salariés d'Air France, dont quatre étaient accusés de violence en réunion, dans l'affaire dite des « chemises arrachées ». La veille, l'avocat général a requis des peines plus lourdes que celles prononcées en première instance (en novembre 2015) : de 3 à 5 mois de prison avec sursis contre les quatre ex-salariés inculpés pour violence et des amendes de 500 euros pour dégradation de biens matériels contre les huit autres. Rien de surprenant dans cette requête où le représentant de l'État, en mal de preuves formelles caractérisant le fait délictueux, n'a eu d'autre choix — pour ne pas se désavouer — que de plaider l'intentionnalité du fait délictueux (voir l'article Air France, « La partie civile en manque de preuves »).

Et de jouer à fond la carte de la pure rhétorique afin de démonter les arguments de la défense, qualifiés tour à tour de « ridicules », « absurdes », « hypocrites ». Bref, autant de railleries gratuites mitraillées à vue contre les prévenus et leurs défenseurs qui révèlent, au mieux, l'acrimonie tenace de la partie civile et, au pire, la faiblesse d'un dossier instruit uniquement à charge contre une poignée de salariés — tous membres de la CGT — arbitrairement désignés seuls coupables parmi 1 200 manifestants insurgés suite à l'annonce d'un énième plan de licenciements massif.

Un procès du XXIe siècle

« Je prends la parole pour ceux qui ont interjeté appel parce qu'ils veulent encore croire en la justice. » En ouvrant sa plaidoirie, maître Lilia Mhissen, qui représente dix prévenus, va d'abord reprendre un argument avancé la veille par l'avocat général : « Oui, c'est bien un procès du XXIe siècle où les médias font la politique et l'opinion publique et où, sous cette pression médiatique, la police a manqué à sa mission première, qui est d'œuvrer à la manifestation de la vérité. » Illustration par les faits : la condamnation, en première instance, de plusieurs prévenus pour avoir fait tomber à terre la grille d'accès au parvis du siège d'Air France. « Tout au long de ce procès, vous n'avez entendu parler que de cela, mais où a-t-on vu cela ? Nulle part ! », avance l'avocate. Et, de fait, le visionnage des vidéos présentées par la partie civile aura démontré au moins ce fait irrécusable : la grille n'est jamais tombée à terre, seule sa serrure a cédé sous la pression des manifestants empêchés d'entrer dans l'enceinte de leur entreprise. Pourtant, un devis de 4 600 euros, réalisé après les travaux de réparation de la grille, a été présenté par la partie civile à la Cour comme élément à charge contre les prévenus, alors que seule sa serrure, d'une valeur de 50 à 100 euros, a effectivement été dégradée. « Je veux croire que la Cour reconnaîtra que cette grille n'a jamais été dégradée », a ironiquement souligné Me Mhissen.

Défaisant une à une les « contre-vérités » présentées par la partie civile, l'avocate s'est longuement attardée sur de troublantes lacunes en dépit desquelles ses clients avaient été condamnés pour violence en réunion et pour dégradation de biens matériels en première instance. Notamment, le choix très sélectif des vidéos présentées par la partie civile, essentiellement des reportages de journalistes montés pour les besoins des chaînes télé. Loin d'avoir valeur de preuve devant la justice pénale… « Nous attendons toujours pour obtenir les rushes hors montage de ces vidéos de journalistes », a fait valoir Me Mhissen.

Loyauté de la preuve

Autres griefs, qui interrogent : Air France a présenté trois enregistrements réalisés par les 286 caméras de vidéosurveillance placées à l'extérieur de la salle où se tenait le CCE, à partir desquels les « arracheurs de chemises » auraient pu être identifiés. Bizarrement, les trois séquences vidéos, uniquement choisies par Air France, ne montrent rien, si ce n'est une masse d'individus dont l'agitation s'emballe et d'où surgissent soudain deux cadres aux vêtements en lambeaux sans qu'il soit possible de distinguer le moindre responsable de ces actes.

Rappelant à la Cour qu'elle restait toujours en attente des enregistrements manquants au dossier, et soulignant les défauts de vérification de ces enregistrements par la police lors de son enquête bouclée en moins d'une semaine, la défense a logiquement plaidé le problème de la loyauté de la preuve avancée par la partie civile. À l'appui d'éléments fournis par Air France — notamment le témoignage d'un vigile affirmant qu'il avait ordre de verrouiller le portail dans le but d'empêcher les manifestants d'accéder à l'enceinte de l'entreprise —,  la défense a également plaidé l'entrave au droit de grève : « Vous ne pourrez pas ne pas reconnaître la faute d'Air France de fermer cette grille, alors qu'elle affirme dans le même temps n'avoir jamais eu connaissance des risques de débordements », a poursuivi Me Mhissen. En demandant la relaxe des prévenus, l'avocate a rappelé qu'une cour de justice ne pouvait fonder son jugement sur les simples déclarations de la partie civile. Ainsi que ce principe fondamental en droit : « C'est à celui qui allègue des faits d'en apporter la preuve, et non à la partie mise en cause de faire la preuve de son innocence. »

Ressentir n'est pas prouver

C'est au tour de Me Sofiane Hakiki (il représente deux des quatre prévenus accusés de violence en réunion) de plaider. Dénonçant un procès où la parole de la défense a été confisquée par la partie civile, il a rappelé quelques principes relatifs au droit de grève : « On vous a raconté que certains grévistes seraient dignes d'exercer leur droit de grève et que d'autres — ceux qui sont ici — ne le seraient pas. » Et de relever un aspect majeur du droit de grève : « On ne peut pas dépecer un droit collectif dans le but d'extraire d'une foule d'insurgés quelques individus désignés coupables par leur accusateur, sans preuve matérielle de leur culpabilité. »

Certes, ceux-là criaient bien « Démission » et « À poil ». Mais comme au moins mille autres manifestants révoltés, a fait remarquer Me Hakiki, avant de réduire en cendres le principal argument de la partie civile, à savoir le dommage moral causé aux victimes par la diffusion en boucle des images des deux cadres aux chemises en lambeaux qui ont fait le tour du monde pendant plusieurs semaines : « Ce dommage, qui est bien réel, résulte de l'exercice légal de la liberté de la presse et de son devoir d'informer le public et aucunement de la responsabilité de mes clients. »

La tirade de Me Hakiki fait mouche dans la salle d'audience où de nombreux étudiants en droit s'empressent, hilares, de griffonner sur leurs carnets de notes tandis que l'avocat complète son argumentaire : « Attention au ressenti des victimes, car le fait de les reconnaître victimes ne doit pas conduire la Cour à transformer mes clients en coupables. » À la Cour d'en juger.

Verdict le 23 mai.