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EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Comment assurer la transition énergétique ?

5 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par | Photo(s) : Anna Solé
Comment assurer la transition énergétique ?

Le projet de loi relatif à la transition énergétique est débattu à l'Assemblée nationale en séance publique 
depuis le 1er octobre. Ce projet répond-il aux enjeux cruciaux de la production d'énergie ? Faut-il produire moins ? Autrement ? Nous avons interrogé Marie-Claire Cailletaud, en charge de ce dossier à la fédération CGT mines et énergie.

nvo : La CGT ne conteste pas l'opportunité du projet de loi sur la transition énergétique en discussion à l'Assemblée nationale, mais elle demeure très critique sur son contenu. Que lui reprochez-vous ?

Marie-Claire Cailletaud : Nous ne contestons évidemment pas l'opportunité du sujet, cela fait d'ailleurs deux ans que nous nous sommes engagés dans ce débat qui, pour nous, est décisif pour l'avenir. L'énergie est un élément essentiel au développement humain.

Nos sociétés se sont développées en se fondant sur l'accès à l'énergie. Or, nous constatons aujourd'hui que ce droit à l'énergie, pour lequel notre organisation syndicale milite, est loin d'être acquis dans le monde, en Europe et en France. Songez que dans le monde deux milliards de personnes n'ont pas accès à l'électricité, trois milliards n'ont accès qu'à des formes rudimentaires de l'énergie, comme le bois par exemple, sur une population de sept milliards et nous serons neuf milliards en 2050. En France, il y a huit millions de personnes en précarité énergétique.

L'enjeu, c'est donc de permettre à chaque citoyen du monde d'avoir accès à l'énergie. Cela signifie qu'il nous faudra, au niveau mondial, produire plus d'énergie, dans un contexte inédit, celui du réchauffement climatique. Nous sommes très attentifs aux alertes lancées par les scientifiques sur les effets du réchauffement climatique comme la montée des eaux et la désertification de certaines régions. Elles ont et auront des conséquences dramatiques. Des études évaluent à 200 millions le nombre de personnes qui migreront à travers le monde. Se poser les questions de l'énergie dans un tel contexte est donc urgent.

 

Ce contexte devrait nous inciter à consommer moins d'énergie, non ?

Je pense qu'il nous faut réfléchir à l'échelle de la planète. Par exemple, on considère que les énergies fossiles sont désormais en diminution, les pays développés comme le nôtre ont exploité ces ressources, souvent de manière agressive.

Dans les pays d'Afrique, ils appellent leurs ressources en sous-sols « la malédiction des sous-sols », car elles leur ont amené plus souvent la guerre que le développement. C'est si vrai que l'on peut aisément constater que la carte des conflits correspond à celle des ressources énergétiques. De plus, l'utilisation de ces ressources génère des gaz à effet de serre.

« IL FAUT IMPÉRATIVEMENT LIMITER LES ÉMISSIONS DE GAZ À EFFET DE SERRE »

Nous avons donc, avec d'autres, une responsabilité particulière à l'égard de ces pays qui ont besoin de se développer. La diminution de la consommation énergétique ne peut donc être un objectif en soi. Il nous faut favoriser le droit à l'énergie pour tous dans les contraintes du réchauffement climatique. Cela veut dire qu'il faut impérativement limiter les émissions de gaz à effet de serre. Les accords internationaux précisent qu'il faut diviser par deux ces émissions au niveau mondial. Pour un pays développé comme le nôtre, il faut diviser par quatre ces émissions, si l'on veut permettre aux pays émergents de se développer. Un défi qui n'est pas facile à relever. Surtout qu'il ne peut pas attendre.

 

N'est-ce pas l'objectif du projet de loi ?

Un des premiers leviers, c'est l'efficacité énergétique, terme que nous préférons à celui de sobriété. Il faut tout d'abord définir les secteurs où il faut agir. Les plus grands consommateurs d'énergie sont le logement et les transports, qui sont également le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre.

Or, les transports sont évacués du projet de loi sur la transition énergétique, malgré nos demandes répétées, et ne seront abordés qu'après le vote de la loi. Il est évident que le développement des transports collectifs générerait des économies d'énergies substantielles. Mais la politique d'urbanisme est aussi concernée, comment éviter par exemple que les salariés soient rejetés loin de leurs lieux de travail ? Ce qui limiterait l'utilisation de leur véhicule personnel. Ces questions ne sont pas prises en compte dans le projet de loi.

Le texte pose le postulat dogmatique selon lequel il faut diviser par deux la consommation d'énergie à l'horizon 2050, mais il n'intègre pas ces facteurs d'économie que sont l'urbanisme, les transports. Quant à l'isolation des logements, la volonté se heurte à l'absence de moyens humains et financiers. L'économie circulaire elle-même n'est abordée que sous l'angle des déchets, alors qu'il faudrait envisager de relocaliser les productions pour ne pas être obligés d'importer l'essentiel de ce que nous consommons.

Ce postulat nous paraît en contradiction avec l'objectif de réindustrialiser le pays et l'évolution dynamique de la démographie. Il n'est pas cohérent : si l'on veut limiter notre consommation d'énergies fossiles, il nous faudra développer d'autres sources d'énergies. J'ajoute que les nouvelles technologies, indispensables à l'activité économique, sont de grandes consommatrices d'énergie, notamment en électricité.

 
Peut-on, selon vous, réindustrialiser la France tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ?

Oui, si l'on se dégage du mode de développement économique libéral qui accorde la priorité au transport routier sur le rail, par exemple, qui multiplie les importations de productions délocalisées avec des bilans carbone bien moins bons, qui exacerbe la concurrence et les gâchis.

À l'inverse, il faut favoriser le développement d'une industrie qui intègre des processus de production qui limitent les émissions de gaz à effet de serre. C'est possible. Des entreprises ont engagé cette évolution. En agissant sur les transports il est également possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre. De la même manière, il existe un large consensus sur la nécessité d'un programme d'isolation des bâtiments, mais le projet de loi ne traite pas de la filière professionnelle à mettre 
en place, or le bâtiment a perdu 70 000 emplois en deux ans. Autre absence de taille dans le projet : le financement de ce programme. La seule chose prévue, c'est une obligation de procéder à l'isolation des bâtiments lors de travaux importants, mais pour les particuliers l'effort financier est considérable, surtout dans cette période d'austérité.

Il est dit dans le projet de loi que l'État devra assurer le pilotage du secteur énergétique, nous y sommes très favorables, nous avons même proposé l'instauration d'un pôle public de l'énergie. Mais cela ne peut se limiter à l'électricité et à imposer des contraintes à EDF, cela implique la maîtrise de Total, GDF-Suez, EDF dont l'État est quand même propriétaire à 85 %…
Pour nous, ce projet de loi est un rendez-vous manqué, qui n'aborde pas l'ensemble des questions et ne prévoit pas les financements indispensables.

 

Que pensez-vous de la proposition contenue dans le projet de loi, visant à privatiser les concessions hydrauliques ?

Nous y sommes opposés, comme la plupart des organisations syndicales. Le texte prévoit, en effet, sous prétexte de se conformer aux directives européennes, de mettre en place des sociétés d'économie mixtes, possédées à hauteur de 34 % par les collectivités et le reste cédé à des opérateurs privés.

Il faut rappeler que l'hydraulique permet de produire de l'électricité à des tarifs très bas, sans émettre de gaz à effet de serre. C'est aussi un moyen très souple de gérer l'équilibre entre consommation et production, avec la possibilité de redémarrer rapidement la production en cas de problème d'approvisionnement. À l'inverse, en cas de surproduction, il est aussi possible aujourd'hui de demander aux centrales de libérer l'eau sans produire d'électricité. Le privé ne s'y conformera pas sans demander des compensations financières.

En réalité, ce qui est en jeu, c'est un changement de modèle : il s'agirait de passer d'un modèle où ce sont les besoins des usagers qui déterminent l'offre d'énergie à un modèle où les usagers devront s'adapter à l'offre.
Une autre évolution nous inquiète, c'est la mise en place des « territoires à énergies positives » qui favorisent la création de sociétés locales de production et de distribution d'énergie. Cela semble correspondre à l'aspiration légitime des citoyens à participer à la gestion des ressources et aux besoins des collectivités locales de trouver de nouveaux modes de financement. Or, c'est à notre sens un leurre qui risque de porter un coup fatal au service public de l'énergie, en mettant en cause les dispositifs de péréquations tarifaires, la solidarité entre territoires, de générer des inégalités entre eux et de faire augmenter les factures des usagers.

C'est un retour à la situation d'avant 1946, avec la multiplication de petites sociétés d'exploitation, incapables d'assurer un service public sur le territoire national.

 

Le reproche est souvent fait à la CGT de privilégier la production d'énergie nucléaire aux dépens du développement des énergies renouvelables. Pouvez-vous nous préciser la position de la CGT sur ce point ?

Le projet de loi fixe quatre objectifs : la division par deux de la consommation d'énergie, la diminution des émissions de gaz à effet de serre, la réduction pour 2025 de la part du nucléaire de 75 à 50 % dans la production d'énergie, la diminution des ressources fossiles et son corollaire, l'augmentation des énergies renouvelables.

La réalisation de ces objectifs n'est pas explicite et ils sont, à notre avis, incohérents. Le problème de la compensation de la réduction de la part du nucléaire, les 50 % restants, n'est pas réellement abordé. D'autant que le coût de rachat des productions alternatives d'électricité par EDF est répercuté sur les factures des usagers (CSPE) et constitue une dette de l'État à l'égard d'EDF qui devient insoutenable pour l'État. On sait désormais qu'on ne peut développer les énergies renouvelables sur ce modèle.

Autre problème : l'adaptation des réseaux pour les énergies intermittentes, intermittence qui demande par ailleurs des ressources thermiques classiques, or la France est en train de fermer ses centrales thermiques classiques. Donc la question de savoir par quoi on va remplacer le nucléaire n'est pas résolue.

Nous pensons, nous, qu'il faut travailler à l'efficacité d'un bouquet énergétique pour satisfaire les besoins des populations et de l'industrie, car on sait que les tarifs de l'énergie sont des facteurs importants de localisation industrielle. L'efficacité doit répondre indissociablement aux trois critères que sont le social, l'environnement et l'économie.

« IL FAUDRA DONC PRODUIRE PLUS D'ÉLECTRICITÉ
SANS ÉMETTRE DE GAZ CARBONIQUE »

Ainsi le développement des énergies renouvelables doit être envisagé à partir de filières industrielles, intégrant la recherche et le processus de maturité technique et économique de ces énergies. C'est ce qui va permettre de les inscrire dans le bouquet énergétique de la meilleure façon.

Imposer un rééquilibrage a priori n'a pas beaucoup de sens. Et on ne peut pas négliger le fait que le nucléaire permet aujourd'hui de produire de l'énergie sans émissions de gaz à effet de serre et à des tarifs intéressants. Si l'on veut diminuer ces émissions il faudra opérer des transferts d'usage, du pétrole, par exemple, vers l'électricité. Il faudra donc produire plus d'électricité sans émettre de gaz carbonique.

La solution n'est pas simple. Elle ne sera pas trouvée en commençant par fixer des quotas de réduction du nucléaire, mais en opérant une évolution en fonction des progrès technologiques permettant le développement des énergies renouvelables. Dans ce processus il faut assurer de façon optimale la sécurité des conditions d'exploitation du nucléaire. De ce point de vue, la sous-traitance ne peut être une solution. Il faut au contraire réinternaliser les activités abusivement sous-traitées, renforcer la maîtrise publique de cette industrie et obtenir le même niveau de garanties collectives pour tous les travailleurs du secteur.

 

Vous évoquiez les tarifs, comment expliquer la forte augmentation du coût du gaz en France, plus de 80 % entre 2005 et 2013 ?

La Commission de Bruxelles considère que l'énergie est une marchandise comme une autre et qu'il faut laisser faire le marché pour obtenir une baisse des prix de l'énergie. C'est le contraire qui se passe.

Nous pensons même que la déréglementation a pour objectif de faire augmenter les prix. Car pour favoriser l'émergence du privé dans ce secteur, la France, son secteur public et des prix parmi les plus bas d'Europe, constitue un obstacle insurmontable pour des concurrents privés. C'est la raison pour laquelle la concurrence et la déréglementation impliquent l'augmentation des tarifs. La recherche d'une rentabilité à deux chiffres est par ailleurs en train de désorganiser l'ensemble de ces industries.

« NOUS PENSONS MÊME QUE LA DÉRÉGLEMENTATION
A POUR OBJECTIF DE FAIRE AUGMENTER LES PRIX »

Nous sommes très attachés aux tarifs réglementés et nous proposons qu'ils soient établis en toute transparence par une commission associant des élus, des usagers, des organisations syndicales. Aujourd'hui, l'introduction du marché produit une opacité complète de la formation des coûts et des prix. Cette question des tarifs est essentielle et elle l'est pour les industriels aussi, qui commencent d'ailleurs à s'en inquiéter. Et pour les particuliers.

Exemple, l'Allemagne a décidé de fermer rapidement des centrales nucléaires, elle a compensé cette production par des énergies renouvelables et par des centrales thermiques au lignite fortement émettrices de gaz à effet de serre. Cela a eu pour conséquence d'augmenter de façon considérable les prix de l'énergie. Ils n'ont pas voulu les répercuter sur l'industrie, mais cela a conduit à un doublement des factures pour les particuliers. On voit bien que la transition énergétique doit se faire selon un processus qui tienne compte à la fois des évolutions techniques, de la maturité des énergies renouvelables et des conditions sociales de son développement.

 

Que proposez-vous très concrètement pour assurer une transition énergétique qui apparaît indispensable ?

Nous proposons de prendre les choses de la façon la plus efficace. Au fond, c'est d'un nouveau mode de développement dont il s'agit. En traitant prioritairement la question des transports. Il faut arrêter de fermer des lignes secondaires de chemin de fer, de développer le transport par camions, et au contraire de favoriser l'harmonisation entre les différents modes de transports. Il faut faciliter le rapprochement des salariés de leur lieu de travail avec une politique urbaine adaptée.

Nous proposons que soit financé un programme d'isolation des logements, en créant des emplois de qualité dans une filière industrielle correspondant à cette ambition. C'est cela qui permettra d'économiser de l'énergie et rééquilibrer par ailleurs notre balance commerciale, qui, je le rappelle, est déficitaire de 70 milliards d'euros, dont 55 pour l'importation de pétrole et 15 pour l'importation du gaz. Relocaliser les productions et développer l'économie circulaire en adaptant l'appareil industriel afin de produire au plus près des consommateurs. Il s'agit bien de réindustrialisation.

« NOUS PROPOSONS UN PÔLE PUBLIC DE L'ÉNERGIE
QUI PERMETTE SA RÉAPPROPRIATION SOCIALE »

Il faut engager le financement nécessaire des recherches dans le domaine des énergies renouvelables afin d'organiser la complémentarité des ressources et une transition énergétique dynamique. La recherche doit se pencher sur les grands sujets tels le stockage massif de l'électricité ou les générations futures de réacteurs nucléaires, afin d'optimiser la ressource en uranium et de trouver une solution satisfaisante à la gestion des déchets.

L'énergie est un secteur stratégique à plus d'un titre pour un pays. L'État doit se donner les moyens d'en assurer la maîtrise. D'où notre proposition de pôle public de l'énergie qui permette une réappropriation sociale du secteur, avec des droits nouveaux pour les citoyens, les représentants de la nation, les salariés, qui leur permettent d'agir sur les choix stratégiques des entreprises. Notre proposition complète celle d'une Agence européenne de l'énergie qui aurait pour objectif l'élaboration d'une politique européenne de l'énergie, qui n'existe pas aujourd'hui et qui est indispensable.