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VIOLENCES SEXISTES

Entretien avec Sophie Binet: « L’arsenal législatif est insuffisant »

21 novembre 2017 | Mise à jour le 24 janvier 2018
Par | Photo(s) : Pierrick Villette
Entretien avec Sophie Binet: « L’arsenal législatif est insuffisant »

Journée d'études contre les violences faites aux femmes. Paris le 21 novembre 2017

Pilote du collectif femmes-mixité CGT et membre de la direction confédérale, Sophie Binet pointe les faiblesses des mesures annoncées pour lutter contre les violences faites aux femmes au travail.
Quelle est votre analyse du contexte social ?

Il est nouveau et très intéressant pour les droits des femmes parce qu'avec le hashtag « MeToo » (moi aussi), une forme de mouvement social des femmes est en train de se créer. Il y a bien sûr une libération de la parole, dont on parle beaucoup, mais elle s'accompagne – et c'est ce qui nous intéresse particulièrement – de solidarités qu'on voit apparaître concrètement sur le terrain, dans la rue, dans les transports, sur les lieux de travail… Des solidarités nouvelles qui se mettent en place entre celles et ceux qui refusent ces violences sexistes et sexuelles. Ce mouvement s'accompagne aussi d'une baisse de la tolérance sociale des violences. Car si ces violences faites aux femmes ont pu prendre une telle ampleur, c'est qu'il y avait jusqu'à présent une tolérance sociale forte et généralisée. Cette tolérance forme un continuum, tant avec les violences elles-mêmes qu'avec les stéréotypes selon lesquels traiter les femmes comme des objets est une pratique normale puisque c'est un état de fait installé dans notre société.

Que pensez-vous des mesures annoncées par le gouvernement ?

Grâce à cette libération de la parole et à ce mouvement social, le gouvernement français a certes été obligé d'annoncer une loi sur les violences sexistes et sexuelles. Mais il y a deux problèmes. D'abord, la loi portée par Marlène Schiappa (secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes) a deux angles morts. D'une part, elle ne recouvre pas le domaine du travail et, d'autre part, elle ne parle pas des moyens humains et financiers nécessaires pour que les dispositions de la loi soient effectives. En fait, on passe à côté de l'essentiel, car je rappelle que le scandale Harvey Weinstein relève du harcèlement au travail : il s'agit d'actrices hollywoodiennes harcelées par ce producteur alors qu'elles avaient un lien de subordination avec lui. Pour l'essentiel, les situations dénoncées par les femmes sont d'ailleurs en lien avec le travail, un lieu où ce lien de subordination s'ajoute au rapport de domination sociale. Il faut donc un volet travail dans cette loi contre les violences sexistes et sexuelles.

Ensuite, alors que Marlène Schiappa annonce ladite loi mais sans aucune dimension sur le travail, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, nous envoie un courrier annonçant l'ouverture d'une concertation sur les mesures à mettre en place dans ce domaine, sur les lieux de travail, mais en précisant d'emblée que «l'arsenal législatif est suffisant».

Les femmes n'en peuvent plus de cette expression d'« arsenal législatif »… Car alors, comment se fait-il que 20 % des femmes soient victimes de -harcèlement sexuel au travail ? Comment expliquer qu'il y a encore 27 % d'écart salarial entre les femmes et les hommes ? Pourquoi y a-t-il 10 viols ou tentatives de viol chaque jour sur des lieux de travail ? « L'arsenal législatif » est insuffisant et il faut de nouvelles dispositions légales.

Tribune pour que le gouvernement « revoie sa copie »Au nom de la CGT, Philippe Martinez a signé l'appel du 2 décembre. Un collectif de 100 personnalités demandait au président de la République d'augmenter le budget alloué à la lutte contre les violences faites aux femmes.
Quel est l'impact des réformes du Code du travail sur le sujet ?

C'est la cerise sur le gâteau. Le gouvernement annonce qu'il va prendre des mesures contre les violences sexistes et sexuelles, mais, dans le même temps, sa réforme du Code du travail par ordonnances supprime tous nos outils actuels d'intervention contre elles. Je pense notamment aux CHSCT, aux délégués du personnel, au droit d'expertise ainsi qu'à la fragilisation des protections des femmes contre les licenciements. Or, on le sait : souvent, quand on est victime de violences au travail, ensuite on est licencié. C'est la double peine.

 

Cet article est un des éléments de l’enquête publiée dans le numéro de décembre 2017 de la Nouvelle Vie Ouvrière