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Loi Travail 2

Droit du travail : la casse du siècle

11 septembre 2017 | Mise à jour le 11 septembre 2017
Par | Photo(s) : Everett Collection / Andia
Droit du travail : la casse du siècle

L'exécutif entend imposer par ordonnances une réforme XXL du droit du travail, qui va beaucoup plus loin que la loi El Khomri dans la remise en cause de la philosophie même du droit du travail. Premier temps fort de mobilisation unitaire, le 12 septembre.

Dis-moi qui te patronne, je te dirai qui tu défends. Emmanuel Macron pourra se targuer d'avoir reçu le soutien opiniâtre de Pierre Gattaz pour mener au pas de charge sa réforme du droit du travail. « Je l'encourage à aller jusqu'au bout de la réforme. Surtout ne rien lâcher », a professé de nouveau le patron des patrons dans un entretien au Parisien le 29 août, alors que s'ouvrait l'université d'été du Medef. Le dirigeant patronal souhaite un « changement de modèle », économique et social, le locataire de l'Élysée reprend en écho (dans un entretien au Point, le 31 août) qu'il s'agit de transformer en profondeur l'économie, la société et le champ politique. Car transformer ne signifie pas pour lui changer de cap par rapport à ses prédécesseurs, mais tourner la page des garanties et des libertés que des décennies de luttes sociales, syndicales… ont permis aux salariés de ce pays de conquérir. Il s'agit donc d'aller beaucoup plus loin dans la logique libérale, en renonçant aux acquis du «monde ancien » pour entrer dans la « modernité » du XXIe siècle. Pierre Gattaz l'assure : « Je ne sens pas du tout de baisse de confiance de la part des chefs d'entreprise. » Et il appelle le gouvernement à suivre pleinement les directives du Medef dans deux domaines au moins, qualifiés de « marqueurs fondamentaux » : les ordonnances sur la loi « travail » et la fiscalité.

Le choix de l'opacité

Pour faire vite et éviter le débat démocratique à l'Assemblée sur le contenu de sa réforme, Emmanuel Macron a choisi les ordonnances. Mais il a aussi fait le choix de l'opacité vis-à-vis des organisations syndicales qui ont dû attendre le 31 août pour découvrir son texte. Durant tout l'été, il n'y aura eu que des informations partielles et des rencontres bilatérales des organisations syndicales ou patronales avec les cabinets ministériels, alors que la CGT demandait des multilatérales pour permettre le débat.

Le Medef peut se réjouir. Le texte présidentiel porte sur trois grands domaines : les relations individuelles au travail, l'articulation entre la loi, les branches professionnelles et l'entreprise, et l'organisation du dialogue social. Sa philosophie : sécuriser le patronat en faisant porter tous les risques aux salariés, réduire le périmètre de la loi au bénéfice de l'accord d'entreprise pour favoriser le dumping social, et restreindre le rôle des organisations syndicales lorsque, comme la CGT, elles militent au plus près des salariés.

Révolution libérale sur ordonnances

Au titre des relations individuelles de travail, il généralise flexibilité et précarité des salariés. Ainsi de la mise en place des « CDI d'opération », ou contrats à durée prédéterminée qui s'appelleront pourtant CDI, mais qui ne donneront droit, une fois leur terme arrivé, ni aux indemnités dues au salarié en cas de licenciement dans le cadre d'un CDI ni à la prime de précarité due à la fin d'un CDD. Avec le CDI d'opération, impossible de prévoir l'avenir proche ou de s'engager à plus long terme, par exemple dans l'achat d'un logement.

Le président de la République veut aussi faciliter les licenciements. Les garanties et les droits des salariés seront restreints en cas de licenciements collectifs. Quant aux patrons délinquants, responsables de licenciements abusifs, c'est-à-dire sans cause réelle et sérieuse, ils pourront préméditer tranquillement leur délit, grâce au plafonnement des indemnités que la victime peut obtenir au conseil des prud'hommes : elles seront plafonnées à un mois de salaire en dessous d'un an d'ancienneté, à vingt mois pour trente ans d'ancienneté et plus.

Emmanuel Macron et ses ministres remettent aussi en cause d'autres droits des salariés. Ainsi des quelques acquis sur la reconnaissance de la pénibilité ou sur le travail de nuit, qui pèsera davantage sur les employés du commerce, un secteur très féminisé.

Dumping social généralisé

Au titre de l'articulation entre la loi, les accords de branches professionnelles et les accords négociés dans chaque entreprise, le texte aggrave la loi El Khomri en ce qui concerne la hiérarchie des normes. En fait, il existait jusqu'à récemment un principe de faveur : il fait du Code du travail le socle de droits minimal applicable à tous, les accords de branche et les conventions collectives ne pouvant que l'améliorer au bénéfice des salariés, et les accords d'entreprise ne pouvant qu'être encore plus favorables. C'est ce principe qui est aujourd'hui largement remis en cause en inversant cette hiérarchie des normes bien au-delà des domaines (temps de travail…) déjà ciblés par Manuel Valls et Myriam E Khomri. Or, élaborer les conditions, l'organisation et la rémunération du travail au niveau de chaque entreprise ne peut que développer le dumping social généralisé.

Enfin, au titre de l'organisation du « dialogue social » dans l'entreprise, Emmanuel Macron a décidé notamment la fusion des instances représentatives du personnel (IRP). Et les patrons de TPE de moins de 20 salariés pourront négocier avec un employé non élu et non mandaté par un syndicat. Il s'agit de contourner le syndicalisme dans l'entreprise et de réduire le nombre des IRP, transformées en instances généralistes éloignées du terrain – et donc des salariés –, au détriment d'un syndicalisme de lutte et de proposition, au moment où les salariés en auront pourtant le plus besoin.

Rejet massif de la population

Une grande majorité des citoyens interrogés rejette le projet de loi. Selon un sondage OpinionWay du 30 août, 68 % craignent que les patrons profitent de la réforme du Code du travail pour réduire leurs droits. 64 % désapprouvent le plafonnement des indemnités prud'homales. Et 64 % également considèrent que, contrairement ce que prétend la propagande d'Emmanuel Macron et de Pierre Gattaz, cette réforme ne créera pas davantage d'emplois. Car ce sont bel et bien les carnets de commandes qui génèrent les besoins d'embauches.

Selon un autre sondage (Odoxa pour RTL, le 28 août), si la majorité des Français est prête à réformer le Code du travail, 63 % ne font pas confiance à l'exécutif pour le faire efficacement. Dans ce contexte, Emmanuel Macron a choisi Bucarest pour affirmer que « les Français détestent les réformes ». En réalité, comme l'a rappelé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, ce ne sont pas les réformes par principe que refusent les salariés. Mais les mauvaises.

Les organisations syndicales expriment elles aussi, dans leur diversité, des divergences avec le texte de la réforme. La CFDT elle-même, qui a activement soutenu la loi El Khomri, a fait part de sa déception, et son secrétaire général, Laurent Berger, a commenté : « Il y a des mesures qui nous inquiètent, comme la possibilité, dans les entreprises de moins de 20 salariés, d'avoir des décisions quasi unilatérales de l'employeur. » « Le dogma­tisme l'a emporté », a-t-il ajouté, en particulier au sujet du plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif.

12 septembre : premier temps fort de la mobilisation

François Hommeril, le président de la CFE-CGC, dénonce des « mesures de dérégulation avec un impact social mais pas d'impact économique positif » et appelle les autres organisations syndicales à un mouvement unitaire contre le projet gouvernemental. Le dirigeant de Force ouvrière se veut plus réservé. Mais localement, nombre d'organisations de FO se sont jointes à l'appel de la CGT, de Sud Solidaires, de la FSU et de l'Unef pour faire du 12 septembre une première journée de mobilisation. Avec des grèves dans les entreprises.

Cela suppose d'aider les salariés, les jeunes, les retraités, les privés d'emploi, à transformer leur déception ou leur colère en exigences. Rassembler largement suppose aussi le débat au sein de l'entreprise. Pas seulement pour dénoncer ce projet qui remet en cause des décennies de droit du travail. Mais aussi pour faire valoir des propositions de progrès social, telles celles que défend la CGT, qu'il s'agisse des salaires et des pensions, du rétablissement de la hiérarchie des normes, de la généralisation du CDI, de la mise en place d'une vraie sécurité sociale professionnelle… Donc d'un code du travail réellement digne du XXIe siècle.

Le 12 septembre sera un premier temps fort. Le dieu Jupiter prétendait gouverner la terre, le ciel, et tous les êtres qui y vivent. Le président jupitérien, lui, ferait bien de redescendre de l'Olympe.