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Justice pour les nettoyeuses de la gare du Nord

17 novembre 2017 | Mise à jour le 28 novembre 2017
Par | Photo(s) : Jallal Seddiki / AFP
Justice pour les nettoyeuses de la gare du Nord

Quatre femmes salariées victimes de harcèlement sexuel et moral ainsi qu’un délégué syndical CFDT viennent d’obtenir justice aux prud'hommes de Paris. Leur employeur, la SAS H. Reinier, sous-traitant de la SNCF pour le nettoiement des trains, a été jugé coupable. Et condamné.

Mains aux fesses, frottement de sexe, injures et insultes sexuées, exhibition d’images pornographiques, tentatives de viol, division du travail sexuée, racket à l'embauche et chantage au CDI : voilà ce qu’ont enduré diverses salariées de la société H. Reinier, chargées du nettoyage des trains de la SNCF gare du Nord à Paris. Le tout sur fond d’organisation du travail communautarisée avec, au sommet de la pyramide, des chefs d’équipe maghrébins exerçant une domination masculine et hiérarchique au détriment de salariées femmes, algériennes, marocaines et africaines. L’affaire, qui remonte à 2012, vient d’être jugée par le conseil des prud’hommes de Paris qui a rendu justice aux cinq victimes. Il, et elles, ne sont pas les seuls à avoir subi ces harcèlements ; mais sont les seuls à avoir osé dénoncer leurs harceleurs, aux prud'hommes comme au pénal.

Pour la société H. Reinier, le jugement est accablant : condamnation « pour ne pas avoir agi contre les harceleurs » et « pour avoir licencié un lanceur d’alerte et une des salariées juste après qu’ils ont dénoncé les faits auprès de la direction. Les mesures prises pour protéger les quatre salariées concernées ont été totalement inexistantes et les mesures de prévention totalement insuffisante », indique la décision du 10 novembre, qui souligne également « le parti pris délibéré de n’accorder aucun crédit de bonne foi aux plaignantes et de les sanctionner de façon systématique après la dénonciation des faits. »

Organisation du travail ethnicisée et sexuée

Intervenante volontaire à ce procès, l’Association contre les violences faites aux femmes au travail (AVTF) a démontré la cohérence et la concordance des témoignages des plaignantes. Elle a également fait valoir l’existence d’une organisation du travail sexuée et ethnicisée où les hommes, chefs d’équipe ou de chantier, se partageaient les tâches les moins rebutantes (aspirateur, nettoyage des tablettes) tandis qu’ils réservaient aux femmes, en particulier les Africaines, les tâches les plus ingrates (nettoyage des WC). Parfois, cet exercice du pouvoir prenait la forme d’un chantage à la transformation d’un CDD en CDI ou d’un chantage à l'embauche. D’autres fois, celle d’un chantage à la nature même du travail, le « moins pire » étant accordé en contrepartie d’une prestation sexuelle assortie d’abus de langage sexués. Exemple : « Si ton mari te laisse travailler, c’est qu’on peut te toucher ». De même, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, saisi de cette affaire sensible après que le ministre du Travail a refusé le licenciement du délégué syndical CFDT, constate lui aussi la concordance et la cohérence de ces témoignages.

Racket à l'embauche

Tous ces éléments versés aux dossiers des cinq plaignants n’ont pas ébranlé la position de la SAS H. Reinier. Alertée dès 2012 des faits et pratiques en cours dans son entreprise, la direction a réagi en demandant par trois fois l’autorisation de licencier le lanceur d’alerte CFDT, Rachid Lakhal. Celui-ci avait non seulement apporté son soutien aux femmes présumées victimes, mais il avait aussi dénoncé un système de racket à l'embauche exercé par les agresseurs, notamment par un délégué syndical affilié à SUD dont le mandat a été annulé dès que le syndicat SUD a eu connaissance des faits présumés. Quant aux victimes de ces harcèlements, elles auront été prises pour cible par leur employeur qui aura tout fait pour décrédibiliser leurs allégations en multipliant les sanctions disciplinaires à l’encontre de chaque plaignante.

Dans tous les cas, la SAS H. Reinier aura fait preuve, au mieux d’aveuglement volontaire, au pire de complicité avec ses salariés harceleurs. Au lieu de licencier le principal agresseur identifié par les témoins, l’entreprise a choisit de le muter – quatre mois après la révélation des faits – sur un autre chantier et sans jamais le sanctionner. Drôle de réaction au vu de l’article 1154-1 du Code du travail qui impose à l'employeur de faire cesser les faits de harcèlement dès qu’ils sont constatés et de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des employés.

Rétorsion contre les plaignants

Au lieu de quoi, la société H. Reinier s’est acharnée contre les plaignants, comme s’ils étaient la cause et non pas la conséquence d’un management moralement très douteux et juridiquement délictueux que la société, en toute connaissance de cause, laissait se perpétuer, voire encourageait. Au point que, dans son rapport, Jacques Toubon a dénoncé « des mesures de rétorsion » contre le lanceur d’alerte CFDT et contre les quatre plaignantes.

La décision des prud'hommes rend justice aux victimes. L'employeur est condamné à réintégrer des licenciés et à verser des dommages et intérêts (30 000 euros pour chaque victime de harcèlement sexuel et moral et 90 000 euros pour le lanceur d’alerte CFDT). En cela, elle est une victoire. Mais beaucoup reste à faire pour qu’évoluent les mentalités des hommes à l’égard des femmes au travail. L'affaire Weinstein vient d’offrir un premier aperçu de l'ampleur de ce phénomène de sexisme et de violences envers les femmes au travail, que ce soit dans les WC d’un train ou dans les luxueux studios d’un producteur d’envergure. Charge aux directions d’entreprises, ainsi qu’aux syndicats, de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour lutter contre de telles pratiques. Jusqu’à les éradiquer. La victoire en justice des nettoyeuses de trains de la gare du Nord offre un point d’appui inédit pour poursuivre cet indispensable combat.