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AGROALIMENTAIRE

Les salariés se rebiffent

25 avril 2013 | Mise à jour le 9 février 2017
Par | Photo(s) : DR
Les salariés se rebiffent

Le scandale de la viande de cheval dans les plats cuisinés a des répercussions dramatiques pour les salariés. À Feuchy (Pas-de-Calais), deux syndicalistes d'une PME sont allés jusqu'à risquer leur vie pour le dénoncer. Une situation qui interroge toute l'industrie agroalimentaire.

Coup de sang. Nous sommes le 11 mars 2013, en plein épisode neigeux. Deux délégués CGT membres du CHSCT grimpent au sommet du silo haut de 25 mètres de la petite usine Fraisnor à Feuchy. La plateforme est minuscule, le vent et le froid intenses. Les deux hommes déclarent entamer une grève de la faim et de la parole. Christian Delépine, le secrétaire du syndicat, est le seul autorisé à parler en leur nom. Les deux grévistes exigent des engagements écrits de l'État pour sauver leur usine et ses 121 salariés. Et il ne faudra pas moins que la venue sur place et le jour même de Guillaume Garot, ministre délégué à l'Agroalimentaire, pour que les intéressés acceptent de redescendre.

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Comment en est-on arrivé là ? Peu auparavant, la PME familiale de Feuchy a été, comme de nombreux autres fabricants de plats cuisinés, affectée par le « chevalgate ». De la viande de cheval a été retrouvée en lieu et place du bœuf dans un lot de lasagnes fraîches. La sanction est immédiate : l'acheteur principal annule toutes ses commandes. Bien que les autres clients gardent leur confiance en cette entreprise, les difficultés de trésorerie sont telles qu'elle se retrouve rapidement dans l'incapacité de faire la jointure pour surmonter la crise et acheter la matière première. Le scandale qui atteint toute la filière arrive au plus mauvais moment pour l'entreprise.

Après deux années de vache maigre, le récent référencement chez les chaînes de distribution Lidl et Aldi offrait des perspectives de développement avec une hausse de l'activité des plus prometteuses depuis le début de l'année. Cependant, et dès le 6 mars, le tribunal de commerce place l'entreprise en redressement judiciaire avec une période d'observation de six mois. La venue du ministre permet de fixer le principe d'une réunion en urgence à la préfecture d'Arras en présence du représentant de l'État, des élus locaux, du directeur de l'entreprise et du personnel. Celle-ci aura lieu le 15 mars. À cette occasion, une manifestation du personnel est organisée avec l'union départementale CGT du Pas-de-Calais et la FNAF-CGT avant d'être reçue en préfecture d'Arras.

C'est à ce moment que nous rencontrons Olivier et Hervé, qui acceptent de raconter à la NVO ce qui les a poussés à monter là-haut : « En deux semaines, la production a baissé de 70 %. Dans les vestiaires, ça pleurait tous les jours. Nous en avions marre de cette souffrance. Nos collègues se tournaient vers nous comme représentants du CHSCT et nous étions complètement impuissants. Qu'est-ce qu'on va devenir ? C'était atroce. Notre principal client, l'allemand Aldi, s'est retiré en nous traitant de voleurs, alors que les salariés qui travaillent ici n'y sont pour rien… » L'acte est insensé, mais au pays de Germinal, on ne plaisante pas avec l'honneur de la classe ouvrière. Et s'il y a bien des voleurs dans cette affaire, ce n'est pas parmi les salariés qu'on doit les chercher.

Manif devant la préfecture

En ce 15 mars, il fait toujours aussi froid devant la préfecture d'Arras. On se réchauffe en dansant au son des chansons diffusées par la sono de la camionnette de l'UD CGT. L'attente est cependant récompensée. Lorsque les portes s'ouvrent et que les syndicalistes font le compte rendu de la réunion, les salariés laissent éclater leur joie. La communauté urbaine d'Arras achète le bâtiment de l'entreprise pour 1,5 million afin qu'elle puisse passer cette période de crise. Joseph D'Angelo, secrétaire de la fédération de l'agroalimentaire (FNAF) CGT, fait partie de la délégation reçue en préfecture. Il note avec satisfaction ce premier résultat. Le dirigeant syndical estime qu'il est normal que l'État intervienne dans ce dossier, notamment envers les PME, puisque avec les défaillances sur le contrôle des viandes importées, il porte une lourde responsabilité dans ce dossier.

La preuve de la lasagne

Le circuit de la viande en Europe est assez complexe et le scandale du chevalgate n'est pas le premier du genre. On se souvient de la crise dite de la vache folle en 1999. Il faut aussi rappeler que depuis 1993, il n'y a plus aucun contrôle de douane au sein de ce qui constitue le marché unique européen. Avec le nouveau dogme de la libre circulation des marchandises, les contrôles de qualité ou d'hygiène par les autorités publiques sont perçus comme des entraves. Les lots de produits alimentaires sont des sources de profit comme n'importe quel produit boursier. Cependant, si comme Engels on considère que la preuve du pudding est qu'on le mange, le problème des lasagnes est de même nature : le système capitaliste a oublié qu'elles ne sont pas que virtuelles puisqu'on les mange… En fait, qu'a-t-on appris sur ces lasagnes étiquetées 100 % pur bœuf identifiées comme 100 % pur cheval ? En résumé, la viande chevaline venant de Roumanie était vendue à un premier trader des Pays-Bas, lequel la revendait à un second courtier basé à Chypre. Puis était réceptionnée en France par Spanghero. Avec départ au Luxembourg pour Findus. Cet imbroglio a de quoi faire tourner en bourrique.

Les produits alimentaires sont des sources de profit comme n'importe quel produit boursier

Chronologiquement, ce type de fraude apparaît d'abord en Grande-Bretagne. Il est ensuite révélé en France en février dernier au travers de la filière Spanghero-Comigel. Et on s'aperçoit finalement que toute l'Europe est affectée. C'est donc lors d'une conférence de presse donnée au Parlement européen que Benoît Hamon, ministre délégué à la Consom­mation, confirme mi-mars que cinq filières de viande avaient été touchées. Le système est si opaque que nul ne semble avoir la maîtrise de l'ensemble de la chaîne. Quels enseignements tirer de toute cette affaire ? « Ce n'est pas aux salariés de payer, mais à l'État et aux industriels de la viande et de la grande distribution », répond sans hésiter Jocelyne Hacquemand, secrétaire de la FNAF CGT. Si le gouvernement a une part de responsabilité, il n'est pas le seul. En effet, l'ANIA (patronat de l'industrie alimentaire) a progressivement obtenu de substituer l'autocontrôle au contrôle public. Les abattoirs publics ont disparu et on a concentré les exploitations agricoles et outils industriels. Au point que la FNAF CGT considère qu'il faut mettre toute la filière viande sous tutelle publique. Dans la dernière période, les entreprises du secteur ont vu se multiplier les fermetures d'entreprises.
Les politiques de casse du service public ne vont pas dans le sens d'une amélioration du contrôle. En témoignent les professionnels de répression des fraudes de la CGT (voir encadré). Si des mesures énergiques ne sont pas prises, le chevalgate ne sera pas l'ultime épisode des scandales de la viande.

Dernière minute
Le gouvernement a refusé l'exonération de l'imposition sur la vente du bâtiment de Fraisnor (500 000 euros). L'intervention de la communauté urbaine est ainsi réduite à néant. En parallèle, les transporteurs réclament 600 000 euros de créances qu'ils veulent facturer aux clients.
Les Fraisnor sont partis, ce 15 avril, à pied vers Paris en direction de l'Élysée pour interpeller le président de la République.

À suivre.