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FISCALITÉ

« L’impôt à la source est une usine à gaz »

26 janvier 2017 | Mise à jour le 19 juillet 2017
Par | Photo(s) : Bapoushoo
« L’impôt à la source est une usine à gaz »

Jeudi 26 janvier, la VO Impôts a tenu une conférence de presse à l’occasion de la sortie de son guide annuel. À cette occasion nous publions le grand entretien que nous avait accordé Alexandre Derigny pour le magazine NVO de décembre 2016.

Le prélèvement à la source va-t-il simplifier la vie des usagers, comme cela a été annoncé ?

Pas du tout. Contrairement à ce qu'avait promis François Hollande, le prélèvement à la source n'est qu'une réforme du recouvrement de l'impôt sur le revenu et non pas une réforme de la fiscalité. Le prélèvement à la source ne va supprimer ni l'obligation de déclaration de revenus ni la réception de l'avis d'imposition. En revanche, il risque d'entraîner nombre de rectifications, qui auront lieu tout au long de l'année. Cela va donc plutôt compliquer les procédures que les simplifier. D'autant que les contribuables avaient auparavant un seul interlocuteur, les services fiscaux, et qu'ils en auront deux : les services fiscaux, chargés de calculer leur taux d'imposition, et l'employeur, chargé de prélever l'impôt. Donc, deux fois plus d'erreurs potentielles.

Mais, on nous promet pourtant la « contemporanéité », soit un traitement en temps réel…

L'objectif de rendre « contemporain » le prélèvement de l'impôt, avec la perception, des revenus va malheureusement en décevoir plus d'un également. Le système fiscal français est tel qu'il rend impossible la prévision de l'impôt exact d'un contribuable, à un instant T : il faut laisser passer l'année entière pour pouvoir déterminer le taux d'imposition de la personne. On peut avoir des variations de revenus, des changements de situation familiale au cours de l'année, ce qui modifie le taux d'imposition. En janvier 2018, on ne pourra pas deviner quels seront les revenus qu'on percevra en septembre ou les changements de situation de famille éventuels, comme un divorce. Impossible de connaître à l'avance le taux réel d'imposition appliqué au contribuable. Ce sera simplement une estimation basée sur les années précédentes, d'où les rectifications qui auront lieu un an plus tard.

Concrètement, ça donnerait quoi ?

Il faudra attendre la f in de l'année 2018 pour pouvoir déterminer le montant total perçu de la personne, qui fera une déclaration au printemps 2019. Les services fiscaux feront le calcul de son impôt suite au dépôt de sa déclaration et, à l'été 2019, la personne recevra un avis d'imposition qui déterminera les régularisations qu'il faudra appliquer au prélèvement à la source effectué un an et demi plus tôt, en janvier 2018. Il n'y a vraiment rien de contemporain dans le prélèvement à la source… Pis, il risque de poser de sérieux problèmes à certaines populations. Exemple : une personne entre sur le marché du travail au 1er janvier, avec un CDD de 6 mois et 2 000 euros nets mensuels ; puis, son CDD prend fin au 30 juin sans autre activité rémunérée jusqu'à la fin de l'année. Avec le système actuel, en percevant 12 000 euros sur l'année, cette personne n'est pas imposable. Avec le prélèvement à la source, dès janvier, sur ses 2 000 euros de salaire, on va prélever un impôt chaque mois jusqu'en juin. Et ces sommes, qu'elle n'aurait en fait pas dues, lui seront rendues un an plus tard, après qu'elle aura fait sa déclaration de revenus.

 

Les salariés sont-ils concernés au même titre que les artisans ou les entreprises ?

Non. Les salariés et les pensionnés seront directement ponctionnés sur leur  salaire ou pension. Les entrepreneurs individuels ou les personnes ayant des activités libérales paieront seulement des acomptes, estimés selon l'impôt payé l'année précédente. Ces acomptes ne correspondront pas forcément à la réalité. Pour les uns comme pour les autres, on va vers une « usine à gaz », mais qui ne loge pas tout le monde à la même enseigne. Les salariés et les pensionnés sont desservis.

Peut-on dire que c'est l'inversion du système actuel ?

En quelque sorte, oui. Aujourd'hui, on paie son impôt après avoir fait sa déclaration et après avoir vérifié son avis d'imposition. Demain, on commencera par payer son impôt puis, un an plus tard, on déclarera ses revenus. Viendra ensuite le calcul et, éventuellement, une régularisation sur ce qu'on aura payé plus d'un an auparavant. Ce sera au contribuable de prouver que c'est l'employeur ou les services fiscaux qui ont fait une erreur un an auparavant en les prélevant sur leurs salaires. Cela va, par exemple, poser des problèmes aux personnes qui auront changé d'employeur.

La CGT a déjà eu l'occasion de pointer des inégalités de traitement…

Concrètement, cela pose notamment des problèmes d'égalité entre les femmes et les hommes. En France, les femmes gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes. Elles auront donc un impôt supérieur à leurs revenus, puisque dans notre système fiscal, lorsqu'on est pacsé ou marié, on additionne les revenus des conjoints et on calcule l'impôt pour les deux. Résultat : si l'un gagne 1 000 euros et l'autre 3 000 euros mensuels, le couple va être imposé à 10 %, et on va donc prélever 10 % sur ces deux revenus. Sauf qu'actuellement, on n'est pas imposé avec des revenus de 1 000 euros mensuels… Le Conseil d'État a donné raison à la CGT et a contraint le gouvernement à revoir sa copie sur ce sujet. Le contribuable aura donc le droit de demander à ce qu'on lui applique un taux dit « neutre », correspondant à ce que la personne aurait payé si elle avait fait sa déclaration séparément. Mais demeurent plusieurs problèmes : cela ne se fera qu'à la stricte demande du contribuable ; cela repose sur une vision idyllique du couple car, dans la réalité, si Madame obtient le taux neutre, ce sera à Monsieur de payer la différence entre ce qu'elle aurait dû payer et ce qu'elle paiera. Ça ne va pas favoriser la paix des ménages…

Les entreprises vont-elles tirer de cette réforme une position de force ?

Les relations entre salariés et employeurs vont se modifier, puisque ceux-ci auront connaissance des taux d'imposition des contribuables, sauf s'il y a application du taux neutre. Cela sera un élément révélateur de revenus supplémentaires que le salarié souhaite occulter à son employeur. Cette connaissance du niveau de revenu global des salariés risque de compliquer la donne au moment des NAO. On peut estimer que, dans une négociation salariale, le fait que l'employeur sache qu'un de ses salariés a des revenus complémentaires ou que son conjoint perçoit un bon salaire va le desservir, par rapport à un salarié dont il déduit qu'il élève seul un enfant ou qu'il n'a qu'une seule source de revenu. C'est biaiser le rapport entre salariés et employeurs. Pis, ça va brouiller la lisibilité salariale. Les salaires ne pourront plus se comparer aussi aisément, puisqu'ils auront été imputés de différents taux d'imposition. Les syndicalistes qui auront à établir des revendications salaria les n'auront pas la tâche facile.

Cela va-t-il changer quelque chose aux recettes de l'État ?

Nous le craignons. Aujourd'hui, notre taux de recouvrement de l'impôt sur le revenu est de 99 %. Un des meilleurs taux au monde. Demain, avec un tiers collecteur, il est fort à parier qu'il y ait des déperditions. Les entreprises collectent déjà aujourd'hui la TVA et on estime la fraude à 32 milliards annuels. Hormis la fraude, les entreprises défaillantes ne reverseront pas les montants collectés… Le taux de recouvrement va forcément baisser.

Quelle est, alors, la logique à l'œuvre ?

Au début de son mandat, François Hollande réclamait – comme nous d'ailleurs – une réforme du système fiscal. Dans les faits, il ne modifie que le mode de recouvrement, qui est ce qui fonctionnait le mieux. Plus inquiétant, les problèmes posés par ce prélèvement à la source pourraient constituer un bon prétexte pour justifier des transformations plus profondes de notre système fiscal, comme la fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, ce qui aboutirait à la suppression de l'impôt sur le revenu. L'autre risque serait d'aller vers la mise en place d'une « flat taxe », c'est-à-dire, en anglais, un « taux unique », annulant carrément l'impôt sur le revenu qui, lui, est progressif.