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Londres. La ville monde

18 novembre 2014 | Mise à jour le 7 avril 2017
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Londres. La ville monde

Les immigrés viendraient voler les aides sociales des Londoniens de souche. La crise serait de leur faute, de même que l'explosion du taux de chômage. Et pourquoi ne pas leur imputer le réchauffement climatique, pendant qu'on y est ? Les poncifs ont la dent dure. Pourtant, au pays où l'extrême droite europhobe triomphe, certains s'efforcent de remettre les choses à leur place.

Aujourd'hui, plus d'un tiers des Londoniens sont nés à l'étranger. Ils n'étaient que 18 % en 1987. Londres, capitale cosmopolite, a en effet connu un flux migratoire sans précédent ces vingt dernières années. Dans la période, l'immigration nette s'est élevée à quelque 4 millions de personnes. Et pour la seule année 2013, 212 000 personnes ont officiellement immigré dans la capitale britannique. Du coup, Londres, c'est trente groupes ethniques différents et quelque trois cents langues parlées. Ce qui avait fait dire à l'ancien maire, Ken Livingstone, que Londres était « le monde entier en une ville ».

UNE OUVERTURE AU MONDE

Au sud de Londres, les Indiens, les Pakistanais et les Somaliens. Au nord, Indiens et Polonais. À Brixton, les immigrants des anciennes Antilles britanniques. À Adgate East et Bricklane, les immigrants du Bangladesh forment une communauté appelée Benglatown. À Dalston, l'Afrique s'étend autour du marché de Ridley street. Kingsland road est turque, Leicester square, bien que très touristique, abrite le petit Chinatown, tandis que la diaspora juive constitue des poches où l'on achète des bagels 24 heures sur 24.

Les guerres d'Irak ou d'Afghanistan, l'effondrement de l'URSS, l'élargissement de l'Union européenne (UE) à l'est, la chute de l'empire britannique… sont, dans le désordre chronologique, les raisons d'afflux successifs d'immigrés à Londres. De même que l'activité internationale de la City, centre financier, draine une immigration riche et prospère. Selon le sociologue Tony Travers, « Londres a été pendant des siècles un territoire de refuge pour des populations fuyant les persécutions politiques et religieuses ». C'est aujourd'hui le territoire d'un métissage détonnant et dynamique.

LES POUMONS CRÉATIFS 
DE LA CAPITALE

Cette ouverture au monde a des effets sociétaux, culturels et économiques. Musique, mode, arts, cuisine… Londres attire les créateurs internationaux qui forment un creuset cosmopolite dont on voudrait aujourd'hui faire croire qu'il mène l'économie dans le mur et assèche les finances publiques à force d'aides sociales notamment (les migrants de la City ne sont évidemment pas en cause, l'argent n'ayant guère d'odeur). Et pourtant, à en croire les riverains des quartiers de Shoreditch ou d'Hoxton, hauts lieux de la Street Culture, les poumons créatifs de la capitale britannique ont été forgés, constitués et développés par les migrants. Quelques chiffres livrés par la London School of Economics viennent étayer ce propos.

DES MIGRANTS DIPLÔMÉS

Selon une étude datant de 2008 sur l'impact de l'immigration sur la ville de Londres, 61 % des migrants arrivés entre 2005 et 2008 étaient diplômés de l'enseignement supérieur. Contre 30 % des Londoniens de souche ! Seuls 7 % d'entre eux étaient sans aucune qualification professionnelle. Contre 24 % des Londoniens de souche ! Toutes les études montrent que les ressortissants étrangers viennent à Londres pour travailler et non, comme le clament l'UKIP et autres organisations nationalistes, europhobes ou racistes, pour piller les fonds sociaux.

Et pourtant, le mythe perdure tant et si bien qu'au scrutin européen de mai dernier comme aux élections municipales, l'UKIP a remporté la victoire des urnes. Le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni, antieuropéen, dénonce désormais l'arrivée massive de ressortissants de nouveaux pays membres de l'UE. Et le discours fonctionne, fait son chemin, relayé par les tabloïds puis communément admis par le plus grand nombre. C'est d'ailleurs sous la pression conjuguée de l'UKIP, de l'aile droite du parti conservateur au gouvernement et d'autres eurosceptiques que le premier ministre se voit contraint de durcir ses propres discours.

Ainsi, David Cameron a lancé en juillet dernier un « durcissement du système migratoire » ayant pour objectif de « donner la priorité aux Britanniques ». Dans la foulée, il promet un référendum sur la sortie de l'UE en 2017, attaque l'UE sur sa politique migratoire, le principe de libre-circulation et, surtout, met en cause le texte fondateur de l'Europe démocratique post-nazisme, la Convention européenne des droits de l'homme. En somme, la campagne pour les élections législatives de mai 2015 bat déjà son plein et la rhétorique de l'UKIP s'y invite en déclinaisons diverses, tous partis confondus.

LONDRES LA COSMOPOLITE N'A PAS VOTÉ UKIP

Et même si les experts s'accordent à dire que les mesures envisagées sont de faible portée, guidées par le seul effet d'annonce, le discours progresse encore davantage et finit par porter ses fruits. Un sondage réalisé durant l'été indique que l'immigration est devenue la préoccupation principale des Britanniques et ce, devant les questions économiques. Des Britanniques peut-être, mais pas des Londoniens. En effet, Londres la cosmopolite n'a pas voté UKIP. Ou alors très à la marge tant les suffrages obtenus par le parti d'extrême droite sont faibles. Est-ce à dire que les Londoniens céderaient moins que d'autres aux idées reçues ? Qu'au cœur même du creuset cosmopolite, on ne tiendrait pas son voisin pour responsable de tous les maux du pays ?

C'est bien d'idées reçues qu'il s'agit. Megan Dobney, secrétaire régionale du TUC de la région de Londres, du Sud-Est et de l'Est (le SERTUC), affirme qu'il existe une différence notable entre les représentations et la réalité : « Les questions d'immigration font l'objet d'âpres débats qui ont des conséquences sur la façon dont les immigrés sont traités au travail et dans la communauté. » Les mensonges et les intoxications contaminent, surtout en temps de crise, les relations sociales.

DES RÉACTIONS AU REPLI ORDINAIRE

Un exemple, les émeutes urbaines. Lorsqu'elles se produisent, un certain nombre de personnes publiques et médiatisées pointent aussitôt les immigrés du doigt. Or, les émeutes prennent systématiquement sur les braises de motivations sociales telles que le chômage, la pauvreté, l'exclusion ou les brutalités policières.

Les émeutes ne sont qu'une manifestation du racisme de repli ordinaire en temps de crise. Un poncif parmi d'autres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le SERTUC a produit une très jolie brochure – surtout bien utile à leurs militants et affiliés –intitulée Truth, lies and migrants (Vérité, mensonges et migrants). C'est un guide qui, chiffres officiels à l'appui, démonte point par point les idées fausses sur lesquelles les discours excluant ou stigmatisant reposent.

Comme l'indique Megan Dobney en introduction, « L'immigration apporte des bénéfices économiques ainsi que la richesse même de cette diversité, mais elle peut aussi troubler. Les gens les moins disposés à aller à la rencontre des migrants sont aussi les plus réceptifs aux discours effrayants. Voilà pourquoi nous avons besoin d'aborder ces peurs avec des faits et de faire face aux problèmes avec des solutions. »

Ainsi le who's who des célébrités préférées des Anglais nées ou pas dans le royaume côtoie des données sur le niveau d'éducation des migrants ou sur l'apport économique de chaque vague d'immigration, des vrai/faux sur les aides sociales, les étudiants étrangers ou les demandeurs d'asile. Un guide didactique, mais souvent drôle et étonnant tant la réalité est éloignée des idées véhiculées par les nationalistes de toute obédience. La palme du rétablissement de l'information revient non pas à ce petit guide qui le mériterait cependant, mais à 68 directeurs d'universités britanniques qui refusent les modifications dissuasives apportées au système d'attribution du visa d'étudiant.

Dans une lettre adressée récemment au premier ministre, ceux-ci demandent au gouvernement de ne plus prendre en compte les étudiants étrangers dans le solde migratoire du pays puisqu'ils apportent une aide conséquente au financement des universités qu'ils fréquentent et, au-delà, à toute l'économie du pays, soit environ 10 milliards d'euros en frais universitaires chaque année. Si cela ce n'est pas de l'humour anglais…