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Mai-juin 68

Mai 68 par ceux qui l’ont vécu : « J’ai déconstruit la place qui m'était assignée »

6 mai 2018 | Mise à jour le 27 avril 2018
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Mai 68 par ceux qui l’ont vécu : « J’ai déconstruit la place qui m'était assignée »

Dominique Lacombe, UD CGT de l'Aisne, fille de militaire, 9 ans en mai 68.

« En 1968, j'avais 9 ans. Mon père était militaire de l'armée coloniale, et nous étions en Allemagne à Offenburg. Nous regardions tous les jours les informations à la télé en noir et blanc. Toujours les mêmes images : des CRS poursuivant des étudiants avec des matraques, des voitures renversées qui brûlaient, on croyait que cette violence ne se passait qu'à Paris. Mon père couvrait de sa voix les commentaires des reporters, il était sous les ordres du général Massu, imaginez donc les insultes et la colère ! Un jour mon père est tout excité, on dirait qu'il va repartir à la guerre. Pilote de char, au 43e régiment blindé d'infanterie de marine, qui deviendra en
1968 le 43e Rima, l'armée va monter sur Paris avec ses blindés. Il en reviendra quelques jours plus tard, déçu comme jamais de n'avoir pu en découdre. Les accords de Grenelle débutant, ils avaient dû rebrousser chemin. Après l'Allemagne, c'est Djibouti. Nous vivrons pour la première fois en France en 1973, et je suis désemparée, perdue, jusqu'au lycée où stupéfaite je vais découvrir la lutte lycéenne et ce culot de la jeunesse, avec ses prises de paroles, ses arguments, l'action et la consultation, la communication…

Curieusement, j'ai oublié les imageries étudiantes de 1968, mais il reste dans un coin de mon cerveau, un impensé condescendant vis-à-vis des travailleurs considérés comme des braves gens, mais crasses, grossiers, contestataires pour un oui pour un non, mal dégrossis. Après deux ans de chômage et des inscriptions à plusieurs concours, je prends le premier réussi et j'entre aux PTT, au centre de tri postal de Laon, trieuse en service de nuit. Je me retrouve en plein cœur de la classe laborieuse, et j'évoque mon impossibilité d'y faire long feu… Un gars de la CGT me répond : oui c'est ce que je me suis dit il y a 25 ans. C'était en mai 1983. La CGT pèse 72 %, et milite dans la démarche CGT. Je redécouvre les prises de parole, les arguments et les propositions, l'action et la consultation. Ébahie, je découvre pour le restant de ma vie que la vraie noblesse c'est la classe ouvrière !

Ils me transmettent la « religion » du J+1, la qualité de service, le service public, mais ils ne me proposeront l'adhésion que 6 mois plus tard, je croyais qu'ils ne m'en estimaient pas digne. Je me forme au stage de base, et je comprends que consciemment ou pas, je suis une héritière des luttes ouvrières et des conquis sociaux, je suis volontaire pour préparer et faire partie de la délégation CGT pour les négociations. En mai 1987, ce monde d'hommes me confie le mandat de secrétaire générale de la section syndicale, j'ai 26 ans, je ne sais pas encore que je suis la 1re femme secrétaire d'une section de centre de tri postal. Chaque année je m'inscris à une formation syndicale, j'étudie des dossiers jusqu'à pas d'heures pour préparer mes heures d'information syndicale (4 par mois pour les 4 brigades jour et nuit). Il faut être à la hauteur, des combattants de mai 1968, et des luttes postales de 1974 (on m'apprend que 74, c'est le mai 68 des postiers) : j'ai tant à rattraper, tant à apprendre, et ma seule boussole est la mise en œuvre stricte de la CGT, d'autant plus que la secrétaire générale de la fédération des PTT, c'est Maryse Dumas.

À la fédération je vais travailler aussi à la dure et émancipatrice « école » d'Anne-Marie Fourcade. En même temps, je milite dans mon union locale CGT. Dans un tel milieu, je passe sur toutes les mobilisations gagnantes. À 35 ans, je suis formatrice en Niveau 1, j'assure le stage Accueil dans mon syndicat départemental. Actuellement je termine la responsabilité de la formation syndicale à l'UD de l'Aisne, et reste mobilisée avec l'USR, l'IHS 02. Et puis plein d'autres choses, notamment un engagement personnel contre le racisme structurel, pour les luttes intersectionnelles.

Voilà, j'ai déconstruit les images de la télé en noir et blanc, et la place qui m'était assignée, pour construire un autre sens, un autre rôle, une autre place à donner à la vie et à l'histoire du mouvement social. Quelque part, entre 9 ans et 22 ans, la graine inconsciente de mai 1968 a germé et porté ses fruits, à mon insu.

Numéro spécial de la NVOComprendre 1968 – Agir en 2018
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